mercredi 7 novembre 2012

Le temps du virage.



Il a suffi de quatre semaines, en 1956, pour que le gouvernement socialiste vire de bord et entreprenne – hélas ! – la politique prônée par ses adversaires de droite. Il allait ainsi engager la France dans le bourbier algérien, dont De Gaulle peinerait à l'extraire six ans plus tard.
Il a fallu un an et demi pour que François Mitterrand, élu en 1981 sur la promesse d'une "rupture avec le capitalisme", réoriente son action au point de devenir l'introducteur du libéralisme et le président des privatisations.
Lionel Jospin, premier ministre de cohabitation, a mis trois ans pour imposer en 2000 à un Jacques Chirac réticent le dispositif constitutionnel accordant à la présidence le pouvoir le plus étendu dont l'exécutif n'ait jamais disposé, en France, depuis que nous sommes en régime républicain.
L'Histoire se répétant avec une lassante monotonie, il aura suffi d'attendre six mois pour que François Hollande et Jean-Marc Ayrault entreprennent de mettre en œuvre, à l'abri d'une rhétorique confuse, la politique qu'aurait dans ses grandes lignes conduite Nicolas Sarkozy s'il avait été réélu.
Après des semaines d'atermoiements scandées de pseudo-concertations et de créations de commissions, la première étape a été l'adoption tel quel du traité européen, surnommé non sans raison "Merkozy", et dont la renégociation proclamée s'était réduite à l'ajout d'un codicille sans portée sur les termes duquel nul ne risquait d'être en désaccord.
La seconde étape a été franchie début novembre avec l'adoption d'un "pacte de compétitivité" qui ressuscite sous un autre nom cette augmentation de la TVA que les socialistes en campagne dénonçaient avec la plus grande vigueur et juraient de faire disparaître.
La troisième et prochaine étape sera vraisemblablement la résurgence de la révision générale des politiques publiques, avec la quête d'économies drastiques et l'inévitable cure d'amaigrissement de la fonction publique. On peut d'avance faire confiance aux technocrates de l'Elysée pour trouver à ces mesures la dénomination adéquate permettant de faire croire qu'il s'agit du contraire de ce qu'on fait vraiment et qu'ainsi, on demeure fidèle à ses engagements de campagne.
A quoi tiennent ces récurrences ? Quelle sorte de fatalité semble poursuivre en France la gauche de gouvernement pour que, régulièrement, elle mène, parvenue au pouvoir, une politique en pleine contradiction avec les espoirs qu'elle avait suscités ? Peut-être ne faut-il pas chercher trop loin et constater simplement que depuis fort longtemps, cette famille de pensée n'a plus rien de vraiment tangible à proposer. Paralysée par une longue confrontation avec un parti communiste qui lui confisquait une grande partie de l'électorat populaire, elle a manqué la grande réorientation social-démocrate du milieu de XX° siècle et elle n'a tenté de s'y rallier qu'au moment où, précisément, la social-démocratie avait atteint ses limites. Qu'a-t-elle à offrir dans ces conditions que des rappels au passé ou des objectifs d'un autre temps ? Se référer inlassablement au programme du Conseil national de la Résistance, vieux de soixante-dix ans, est-il vraiment crédible en 2012 ? Face à un centre-droit plus inventif et pragmatique, il ne lui reste plus, dès qu'elle se trouve confrontée aux réalités, qu'à s'aligner tout en affirmant haut et fort qu'il n'en est rien.
Cet état de fait est préoccupant. Toute démocratie a besoin d'alternances qui soient des alternatives. Ce vide ainsi creusé crée un appel d'air favorable aux populismes. De part et d'autre, les deux Fronts sont en embuscade. Celui de gauche, ressassant inlassablement un discours idéologique mille fois entendu et qui n'a rien retenu des drames du siècle dernier, n'offre guère qu'un risque de type électoral. Celui de droite, en revanche, peut être redoutable. Son langage peut sembler nouveau et nul ne l'a encore entendu, sinon des octogénaires qui n'étaient que des enfants quand cette rhétorique triomphait.
A trop décevoir ce qu'on désignait naguère comme "la France d'en bas", une gauche de gouvernement sans boussole peut préparer de sombres lendemains.