Il a suffi de
quatre semaines, en 1956, pour que le gouvernement socialiste vire de bord et
entreprenne – hélas ! – la politique prônée par ses adversaires de droite. Il
allait ainsi engager la France dans le bourbier algérien, dont De Gaulle
peinerait à l'extraire six ans plus tard.
Il a fallu un
an et demi pour que François Mitterrand, élu en 1981 sur la promesse d'une
"rupture avec le capitalisme",
réoriente son action au point de devenir l'introducteur du libéralisme et le
président des privatisations.
Lionel Jospin,
premier ministre de cohabitation, a mis trois ans pour imposer en 2000 à un
Jacques Chirac réticent le dispositif constitutionnel accordant à la présidence
le pouvoir le plus étendu dont l'exécutif n'ait jamais disposé, en France, depuis
que nous sommes en régime républicain.
L'Histoire se
répétant avec une lassante monotonie, il aura suffi d'attendre six mois pour
que François Hollande et Jean-Marc Ayrault entreprennent de mettre en œuvre, à
l'abri d'une rhétorique confuse, la politique qu'aurait dans ses grandes lignes
conduite Nicolas Sarkozy s'il avait été réélu.
Après des
semaines d'atermoiements scandées de pseudo-concertations et de créations de
commissions, la première étape a été l'adoption tel quel du traité européen,
surnommé non sans raison "Merkozy", et dont la renégociation
proclamée s'était réduite à l'ajout d'un codicille sans portée sur les termes
duquel nul ne risquait d'être en désaccord.
La seconde
étape a été franchie début novembre avec l'adoption d'un "pacte de
compétitivité" qui ressuscite sous un autre nom cette augmentation de la
TVA que les socialistes en campagne dénonçaient avec la plus grande vigueur et
juraient de faire disparaître.
La troisième
et prochaine étape sera vraisemblablement la résurgence de la révision générale
des politiques publiques, avec la quête d'économies drastiques et l'inévitable
cure d'amaigrissement de la fonction publique. On peut d'avance faire confiance
aux technocrates de l'Elysée pour trouver à ces mesures la dénomination
adéquate permettant de faire croire qu'il s'agit du contraire de ce qu'on fait
vraiment et qu'ainsi, on demeure fidèle à ses engagements de campagne.
A quoi
tiennent ces récurrences ? Quelle sorte de fatalité semble poursuivre en France
la gauche de gouvernement pour que, régulièrement, elle mène, parvenue au
pouvoir, une politique en pleine contradiction avec les espoirs qu'elle avait suscités
? Peut-être ne faut-il pas chercher trop loin et constater simplement que
depuis fort longtemps, cette famille de pensée n'a plus rien de vraiment
tangible à proposer. Paralysée par une longue confrontation avec un parti
communiste qui lui confisquait une grande partie de l'électorat populaire, elle
a manqué la grande réorientation social-démocrate du milieu de XX° siècle et
elle n'a tenté de s'y rallier qu'au moment où, précisément, la
social-démocratie avait atteint ses limites. Qu'a-t-elle à offrir dans ces
conditions que des rappels au passé ou des objectifs d'un autre temps ? Se
référer inlassablement au programme du Conseil national de la Résistance, vieux
de soixante-dix ans, est-il vraiment crédible en 2012 ? Face à un centre-droit
plus inventif et pragmatique, il ne lui reste plus, dès qu'elle se trouve
confrontée aux réalités, qu'à s'aligner tout en affirmant haut et fort qu'il
n'en est rien.
Cet état de
fait est préoccupant. Toute démocratie a besoin d'alternances qui soient des
alternatives. Ce vide ainsi creusé crée un appel d'air favorable aux
populismes. De part et d'autre, les deux Fronts sont en embuscade. Celui de
gauche, ressassant inlassablement un discours idéologique mille fois entendu et
qui n'a rien retenu des drames du siècle dernier, n'offre guère qu'un risque de
type électoral. Celui de droite, en revanche, peut être redoutable. Son langage
peut sembler nouveau et nul ne l'a encore entendu, sinon des octogénaires qui
n'étaient que des enfants quand cette rhétorique triomphait.
A trop
décevoir ce qu'on désignait naguère comme "la France d'en bas", une gauche de gouvernement sans boussole
peut préparer de sombres lendemains.