jeudi 3 octobre 2013

A PROPOS DES ROMS.






Quelle agitation ces derniers temps autour des Roms ! Quelle accumulation de déclarations péremptoires, de gesticulations, d'anathèmes, de gémissements ! Que d'ignorance aussi, de cynisme et de déni des réalités dont les premières victimes sont le peuple Rom et le bénéficiaire, à terme et une fois encore, le populisme xénophobe.
Qui sont-ils d'abord, ces Roms ? Des tard-venus des grands mouvements de migration qui ont peuplé l'Europe, arrivés quand il n'y avait plus de territoire à occuper, à la fin du Moyen-âge. Le dernier peuple nomade venu d'Asie aux IX°-X° siècle, les Hongrois, christianisé, sédentarisé, métissé par l'absorption des rares populations locales, avait fondé dans la plaine danubienne un royaume qui n'avait pas tardé à compter en Europe. Les Roms, arrivés au XIV° siècle, se sont dispersés, sont demeurés nomades, se sont aussi enfermés dans leur particularisme. Ils sont restés des marginaux.
D'où venaient-ils ? Vraisemblablement du nord de l'Inde, d'où ils commencent à migrer vers l'Ouest aux alentours de l'an Mille, le mouvement s'amplifiant dans le grand remue ménage de peuples consécutif aux invasions mongoles des XII°-XIII° siècles. Venus par l'Iran et une Asie mineure déjà turque, ils étonnent en Europe, où on les nomme en fonction de là d'où on les croit provenir, Egyptiens (ce qui donnera Gypsy en anglais et Gitanos en espagnol), Bohémiens, car certains, arrivant d'Allemagne, montrent la lettre de protection que leur a accordé l'empereur Sigismond, roi de Bohême. A vrai dire, on ne s'y reconnaît pas à travers les noms divers qui les désignent, Tsiganes, Sintis, Zingaris, Yéniches, Manouches. Eux-mêmes se qualifient de Roms ou Romani, très exactement Romanichel (peuple romani), terme qui les désignera longtemps en Occident.
Dans cette Europe encore féodale et dont la population a été décimée par la peste noire de 1348 (un Européen sur cinq est mort), ils ne sont pas mal accueillis, des seigneurs leur accordent protection, ils font souvent d'excellents soldats. Mais ils ne renoncent pas à leur mode de vie nomade et cette particularité est vite, comme toujours, une cause de tension avec les agriculteurs sédentaires, qui les accusent à juste titre de rapines. Dans les Balkans, où ils sont particulièrement nombreux, leur sort se dégrade après l'invasion ottomane et ils sont réduit à une condition pratiquement servile qui perdurera des siècles.
En Occident, la constitution des états monarchiques les marginalisent encore plus. Refusant de renoncer à leurs coutumes et à leur genre de vie, ils sont vite assimilés à de dangereux irréguliers. En 1682, Louis XIV règle leur compte en France : considérés comme vagabonds, les hommes sont sans procès envoyés à perpétuité aux galères et femmes et enfants enfermés dans des hospices. Les philosophes des Lumières ne sont guère plus indulgents. Dans l'Encyclopédie publiée sous la direction de Diderot, les "Bohémiens" sont ainsi définis : "Espèce de vagabonds déguisés, qui, quoiqu'ils portent ce nom, ne viennent cependant ni d'Égypte ni de Bohème ; qui se déguisent sous des habits grossiers, barbouillent leur visage et leur corps, et se font un certain jargon ; qui rôdent çà et là, et abusent le peuple sous prétexte de dire la bonne aventure et de guérir les maladies, font des dupes, volent et pillent dans les campagnes ". Est-ce totalement injuste ? Quand, à la fin du XVIII° siècle, l'empereur Joseph II tente de les sédentariser dans les Etats autrichiens en leur attribuant une terre et du bétail, les Romanis s'empressent de les revendre et ils reprennent leur vie nomade !
La formation des états administratifs modernes au XIX° siècle représente un pas de plus dans la tentative de les assimiler, avec l'attribution de la nationalité et de patronymes issus des langues des pays d'adoption mais sauf cas exemplaires (Espagne, états balkaniques), ils ne se sédentarisent guère. Ils adoptent des professions en accord avec leur perpétuel mouvement, marchands ou artisans forains, artistes de cirque, domaine où ils vont exceller et où quelques familles se construiront de véritables empires. Si la méfiance et l'hostilité des populations rurales persistent, leur étrangeté et leur pittoresque séduisent les artistes, de Jacques Callot au  XVII° siècle à Vincent Van Gogh au XIX°. Le Romantisme s'enflamme pour eux, de Walter Scott à Victor Hugo, de Mérimée à Guillaume Apollinaire.
Cela ne change rien à leur statut, le pire survenant avec le nazisme au XX° siècle. Considérés comme des parasites asociaux au même titre que les Juifs, ils sont victimes d'une entreprise d'extermination : plus de 50 000 d'entre eux périront dans les camps. Le paradoxe, c'est que par leurs origines, les Romanis sont sans doute les Européens les plus propres à mériter le nom d'Aryens, mais le régime hitlérien n'en était pas à une contradiction près…

Que se passe-t-il aujourd'hui ? Après les horreurs de la guerre, l'intention de les considérer enfin comme des citoyens normaux a conduit à la négation de leur spécificité. En France, le "politiquement correct" s'ajoutant, on a décidé à partir de 1972 de ne plus les appeler par leur nom et avec cette inimitable faculté de l'administration d'inventer des dénominations baroques, ils sont devenus "gens du voyage", expression qui pourrait aussi bien désigner le personnel roulant de la SNCF ou les employés des agences de tourisme. Le peuple Romani étant évidemment composé d'individus, essayez donc de trouver le singulier, masculin ou féminin, de "gens du voyage"…
A partir de 2010, la rencontre de deux événements, de graves incidents entre "gens du voyage" et forces de l'ordre à St Aignan sur Cher, puis l'arrivée de Roms de Roumanie et de Bulgarie consécutive à l'entrée de ces états dans l'UE, a soulevé l'actuelle tempête. La réaction des autorités a servi d'arguments à des entreprises purement politiciennes instrumentalisant les Roms à des fins polémiques, d'abord contre Nicolas Sarkozy à la veille des présidentielles, puis contre Manuel Valls dans le cadre des luttes internes au sein du PS, sinon du gouvernement. Un courant de sympathie affiché à l'égard des Roms est devenu mode. On a vu convoqués pêle-mêle Carmen, Esmeralda, Django Reinhard ; on s'est attendri sur la beauté des robes à volants et le son des castagnettes et si nul n'a rappelé avec émotion la silhouette tournoyante de la Gitane figurant sur les paquets de cigarettes, c'est qu'il faut aussi être anti-tabac. Tout cela dans une atmosphère compassionnelle dégoulinante d'hypocrisie : tels vertueux défenseurs des Roms seraient loin d'être les derniers à téléphoner à leur mairie si une dizaine de caravanes venaient s'établir en bordure de leur jardin.
Et les Roms dans tout ça ? Si l'on cesse de se raconter des histoires et si l'on s'interroge sur ce qui fait problème, on commence par différencier, malgré leur parenté, Romanis français et Roms venus des Balkans qui constituent le peuplement des 400 campements illicites évalués, dont 40% dans la région Ile-de-France. On considère ensuite objectivement la responsabilité d'états tels la Roumanie et la Bulgarie qui non contents de pousser des Roms qu'ils ont constamment traité en sous-citoyens hors de leurs frontières, ont subtilisé les milliards d'euros attribués par l'UE pour, précisément, améliorer le sort des Roms. On ne se cache pas non plus qu'au delà des conditions de vie indignes qui sont les leurs, ces malheureux sont exploités par des mafias claniques internes à leur communauté qui ne les envoient pas vers l'Europe de l'Ouest à des fins d'intégration, mais pour organiser diverses formes de rapine et de délinquance qui vont du vol à la tire ou du cambriolage à la récupération massive de métaux non-ferreux au détriment, entre autres, des services publics. Et comme ces mafieux connaissent les lois, ce sont des enfants ou des filles mineures qui sont mis à contribution, vendus, prostitués, contraints au résultat sous peine d'impitoyables punitions. On est loin de Carmen et des castagnettes !
Que faire ? D'abord protéger, et non pas tenter une impossible intégration (ça fait sept cents ans qu'elle échoue), mais ouvrir le débat, trouver des solutions acceptables pour ce peuple sans terre qui représente quand même plus de 10 millions de personnes en Europe. Il existe des interlocuteurs, ne serait-ce que l'Union Romani internationale.
Cela passe aussi par le réexamen des modes de vie et des particularismes romanis. Un genre de vie nomade ou semi-nomade datant du Moyen-âge est-il encore possible dans une Europe post-industrielle, à forte densité démographique, de plus en plus urbanisée et sillonnée d'autoroutes ? La clochardisation d'une population entière est-elle acceptable, et au nom de quoi ?

Mais cela ne peut se régler aux niveaux des états-nations, qui ne trouvent comme solution que l'expulsion, autrement dit l'envoi ailleurs. Il s'agit d'un problème européen qui doit être abordé et discuté au niveau de l'Union. Pourquoi pas, par exemple, au parlement de Strasbourg? Ce serait pour lui une belle occasion de montrer qu'il sert quand même à quelque chose.

mardi 6 août 2013

Changement d'adresse

Depuis juin 2013, mon blog est intégré au bouquet de blogs de "L'Express".
En conséquence, vous le trouverez sous le titre "Histoire de le dire" à
BLOGS L'EXPRESS
http://blogs.lexpress.fr/histoire-politique/

Merci de votre fidélité.
   André ROPERT

lundi 8 juillet 2013

A propos des événements d'Egypte




Embarras évident des chancelleries occidentales devant les derniers événements d'Egypte, mais étranges commentaires de personnalités médiatiques ou de politologues qu'on attendrait plus perspicaces.
Coup d'état, interruption d'un processus démocratique, renversement d'un président élu… Tout est certes vrai, mais est-ce si simple ? Entre l'intransigeante application de principes théoriques et l'examen d'une conjoncture spécifique, entre le respect inconditionnel des règles de l'état de droit et les réalités d'une société dont les normes appartiennent à un espace culturel qui n'est pas celui de l'Occident, n'y a-t-il pas nécessité de prendre en compte un certain nombre de données.
Un processus démocratique en devenir ? Admettons, mais que penser d'une constitution approuvée par 30% seulement de l'électorat potentiel et, surtout, de la formation politique qui s'est trouvée par la suite portée au pouvoir ? Que sait-on exactement en Europe des Frères musulmans, de leur organisation, de leurs projets et est-il pertinent d'en faire les parangons de la démocratie ?
Les Frères musulmans ne sont pas un parti politique, c'est une confrérie religieuse internationale, remarquablement organisée et dont les réseaux, largement financés par le Qatar, s'étendent partout où existe une communauté musulmane. Son idéologie a imprégné ce qu'on nomme aujourd'hui l'islamisme politique, de la Tunisie à la Turquie, et cette idéologie est tout sauf démocratique.
Il serait bon pour les actuels commentateurs de prendre connaissance des écrits de Sayyed Qotb (1906-1966), qui fut (et reste) le maître à penser des Frères.
Tout pouvoir procède de Dieu seul et en imaginant qu'ils pourraient décider à sa place, les hommes ont commis le pire des péchés. Il convient donc de restaurer et d'établir définitivement sur l'humanité entière le règne et l'autorité absolue de Dieu par l'universelle prescription de la charia, et cela au prix d'une lutte impitoyable contre les mécréants. Toute liberté d'incroyance en Dieu est criminelle, toute coexistence avec d'autres religions impensable, l'idée même de laïcité est une impiété. L'objectif final de l'Islam est la Terre entière.
"Un mouvement totalitaire, écrivait en 1951 Hannah Arendt dans "Les origines du totalitarisme", est international dans son organisation, universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques". Elle ne pensait certes pas aux Frères musulmans, mais comment ne pas reconnaître l'adéquation de la définition.
C'est ce mouvement que les élections égyptiennes avaient porté à la direction du pays suite au renversement de Hosni Moubarak. Il avait aussitôt entrepris un patient et méthodique noyautage des institutions de l'état, éliminant soigneusement tout ce qui lui paraissait hostile et même suspect. La chance a peut-être voulu que l'incompétence de son personnel politique éclate vite au grand jour. "L'Islam est la solution, le Coran notre constitution", clamaient à l'envie les Frères. Allah ne les a pas entendus et le peuple s'est détaché d'eux, mais ils avaient le pouvoir et ils n'étaient certes pas prêts à le lâcher.
On peut penser ce qu'on veut de l'armée égyptienne, de son rôle économique, de ses privilèges, de son opportunisme. N'empêche, elle a peut être évité au peuple égyptien et – qui sait – au monde arabo-musulman de tomber sous la coupe d'un mouvement rétrograde qui n'a vu dans le processus démocratique qu'un commode marchepied pour s'emparer des rênes. Certes, rien n'est réglé à l'heure qu'il est, mais il n'en demeure pas moins qu'un coup d'arrêt a été donné.
Alors, de grâce, ne geignons pas sur la démocratie outragée : les Frères musulmans se préparaient à l'étrangler à terme.
A écouter certains commentateurs occidentaux ces jours-ci, on se dit que vivant une autre époque, s'ils avaient vu en 1934 les généraux de la Reichswehr renverser par un coup d'état le pouvoir d'Adolf Hitler et de son parti, effectivement issus d'un vote majoritaire en février 1933, ils auraient crié à l'assassinat de la démocratie.

Alternance n'est pas alternative



Plus les mois passent, plus il apparaît que l'alternance n'était pas l'alternative et plus se révèle, non seulement l'absence d'un programme précis et structuré à gauche, mais – plus grave – l'inexistence d'un réel projet politique. Certes, la campagne de 2012 a été avare de promesses, mais que reste-t-il de concret des envolées du discours du Bourget ou de la théâtrale anaphore du débat télévisé ?  Le président Hollande et son gouvernement rouvrent l'un après l'autre les chantiers entrepris par la précédente mandature et restaurent sous un autre nom une grande partie des mesures bruyamment supprimées il y a un an pour faire croire que le changement, c'était alors.
Il serait fallacieux d'attribuer cet alignement à quelque faiblesse circonstancielle ou au manque de détermination : la cause en est structurelle, l'option de gauche n'existe plus. Non qu'il n'y ait plus de discours de gauche ; il est très présent et souvent même fracassant, mais il vient d'une gauche qu'on nomme tribunicienne, manière euphémique de dire que posant d'inaccessibles préalables à toute accession au pouvoir, elle n'a pas réellement l'intention de gouverner.
A quoi tient cet effacement ? En France, à l'indécision du socialisme, qui a manqué au milieu du XX° siècle, quand il en était encore temps, le tournant social-démocrate ; en d'autres termes, la rupture avec les dogmes marxistes et l'acceptation, tant du capitalisme que de l'économie de marché qu'on s'attache à réguler et non à combattre. Confronté à un parti communiste fort jusqu'aux années 80 et qui lui avait soustrait son électorat ouvrier, le parti socialiste (SFIO, puis PS) s'est enfermé dans un discours ambigu, volontiers radical, contrastant avec sa modération dès qu'il accédait au pouvoir. Au fond, il n'a jamais clairement rompu avec le projet du socialisme des origines, révolutionnaire et marxiste, pourtant déjà récusé de fait à la veille de la guerre de 1914 au sein du mouvement socialiste européen et que les Bolcheviks russes croiront, non sans quelque suffisance, mettre en place avec le succès final qu'on connaît. Vu avec le recul de l'Histoire, le socialisme français n'est pas sorti du XIX° siècle et confronté aux réalités du XXI°, il ne sait plus quoi dire sinon persister dans une vaine rhétorique. On reste perplexe quand on constate qu'un important ministre, actuellement en charge de responsabilités économiques, a obtenu un appréciable succès à la primaire de son parti en se présentant champion de la "démondialisation".!
Qu'une telle posture, quasi magique, ait rendu cet homme politique populaire en dit long également sur la cécité de ses électeurs. Ce qu'on nomme en France "le peuple de gauche" semble majoritairement enfermé dans un univers mental hors du temps construit sur la base du marxisme simpliste, jadis diffusé par le parti communiste, et des vieux réflexes venus de la longue tradition catholique d'hostilité à l'argent. L'anticapitalisme lui est une seconde nature, ce qui, en soi, serait soutenable s'il s'y ajoutait la prise en compte des réalités de la situation présente. Or, le capitalisme, surtout dans sa version néolibérale, a certes beaucoup de défauts mais dans la perspective des débuts du XXI° siècle, il n'y a rien de crédible à lui opposer hors une rhétorique creuse. La seule tentative en grandeur réelle de bâtir un ordre socio-économique sur des bases différentes, le communisme soviétique, a lourdement échoué et les pays qui s'en étaient inspirés, ou ont radicalement changé de voie (la Chine), ou ont abouti à des dictatures claniques (Cuba, la Corée du Nord), quand ce n'est pas à des bouffonneries (le Vénézuela). Hormis des groupuscules dont le discours ressemble à un disque constamment repassé, nul ne voit plus dans le marxisme-léninisme une solution.
Que peut alors proposer une gauche d'alternance ? Poursuivre, au prix de quelques aménagements, dans la direction que suivait avant elle la droite au pouvoir. En France, l'élection présidentielle de mai 2012 s'est faite sur un unique objectif : chasser Sarkozy de l'Elysée. Une fois ce but atteint et quand s'est posée la question : "que faire ?", la perplexité a été telle que plusieurs mois d'inaction ont suivi. A l'automne, la procédure d'atterrissage a été entamée avec comme inévitable corollaire de désorienter profondément tous ceux qui avaient cru au changement maintenant. Le changement se limitait à une substitution de personne.
Cette fois, depuis le discours de Leipzig, les modalités se précisent. Au libéralisme social de l'ère Sarkozy succède, sous le nom quelque peu usurpé de social-démocratie (une option aujourd'hui dépassée en réalité par l'Histoire), un social-libéralisme qui ressemble de plus en plus à l'ordolibéralisme allemand. François Hollande fait preuve là de lucidité, mais il va lui falloir un courage et une énergie peu commune pour en convaincre son électorat, qui croit toujours à l'utopie du socialisme égalitaire et débarrassé du capital.
L'ordolibéralisme allemand prône un capitalisme encadré et régulé. Il souhaite ordonner la mondialisation. Il est actuellement l'une des options les plus crédibles pour contrer la dérive néolibérale et ce laisser-faire intégral qui a conduit à la crise de 2008. En s'y ralliant, le président Hollande choisit l'efficacité contre l'utopie, l'entente avec l'Allemagne, la relance de l'Europe en fédérant la zone euro.
Le problème, c'est que la déception étant dans son camp à la mesure des espoirs chimériques hier entretenus, d'autres utopies pourraient prendre la relève. La désespérance est sensible au chant des sirènes et les sirènes sont des entités maléfiques.

mercredi 26 juin 2013

Petits rappels du temps passé.




Devenu roi en 1774, Louis XVI  trouve une situation financière fort compromise et un état au bord de la banqueroute. Il fait d'abord confiance, pour redresser la situation, au ministre Turgot, ami d'Adam Smith et acquis aux toutes neuves idées du libéralisme économique. Puis, déçu des résultats et sous la pression de son entourage, il s'en sépare deux ans plus tard pour faire appel à un banquier genevois, Jacques Necker.
La monarchie française paraît alors un système sclérosé, paralysé par une multitude de blocages, doté d'un système fiscal qui, au nom de privilèges acquis de longtemps par la noblesse et le clergé, prive la couronne de la possibilité d'imposer les plus riches. L'administration révèle un empilement de structures et de juridictions qui font double emploi ou se contrarient. Le déficit permanent a conduit l'Etat à multiplier les emprunts au point que dans les années 1780, le service de la dette absorbe 80% des recettes publiques.
Necker décide à partir de 1776 une politique résolue de compression des dépenses publiques et de réorganisation administrative visant à la simplification et à la décentralisation, ce qui lui aliène les notables de province. Peu sensible aux arguments des libéraux, il envisage de développer le rôle de l'Etat, en particulier sa fonction d'assistance. Surtout, il suggère une réforme fiscale qui, en taxant les biens fonciers, permettrait de tourner les privilèges de l'aristocratie et du clergé. C'en est trop, ces derniers obtiennent du roi son renvoi.
Entre temps (et contre l'avis de Necker), la monarchie française s'est lancée dans le soutien aux Américains soulevés contre leur métropole britannique, action qui ira jusqu'à la déclaration de guerre au Royaume-Uni en 1778. Opération se déroulant sur un lointain continent et mobilisant d'énormes forces navales, la guerre d'Amérique est, certes, un grand succès de prestige et elle permet la naissance des Etats-Unis, mais, financée à coup d'emprunts, elle transforme le déficit financier de la France en abîme sans fond ! Ayant récusé Necker, Louis XVI, après quelques tâtonnements, fait alors appel à Charles-Alexandre de Calonne.
Brillant, spirituel, très à l'aise à la Cour, Calonne n'a pourtant rien du personnage frivole souvent décrit. Il a un passé d'administrateur compétent, ayant derrière lui une carrière d'intendant (nous dirions aujourd'hui préfet) où il a fait preuve de pragmatisme et d'efficacité. A la différence de ces prédécesseurs, ce n'est en rien un doctrinaire. Pour lui, le premier impératif est de reconquérir la confiance des marchés financiers qui prêtent à la France et pour ce faire, il faut dissimuler ses faiblesses et réactiver l'économie, vraie créatrice de richesse. On appellerait cela, de nos jours, une politique de relance par l'investissement public. Il entreprend en conséquence une politique de grands travaux financés par l'Etat (canal de Bourgogne, port de Cherbourg), pousse au développement industriel en faisant appel aux capitaux privés qu'il encourage par l'octroi de primes (Le Creusot) et, pour stimuler l'économie française, il négocie en 1786, la paix revenue, un traité de commerce avec l'Angleterre abaissant considérablement de part et d'autre les taxes douanières.
Evidemment, il faut trouver l'argent et Calonne emprunte, emprunte, profitant de l'image favorable qu'il offre du royaume, allant jusqu'à donner à la Cour de Versailles le plus grand éclat possible pour rassurer d'éventuels créanciers.
Il faut reconnaître que sa politique a des résultats concrets dont le voyageur anglais Arthur Young témoignera dans le tableau sans complaisance qu'il fait de la France du temps, mais la spéculation boursière se déchaîne et loin de réduire le déficit, Calonne le creuse encore plus.
C'est alors que pour augmenter les recettes de la couronne, Calonne, tout comme Turgot, tout comme Necker, regarde du côté d'une réforme fiscale. Il avait d'abord pensé réduire les impôts pour favoriser les investissements privés, mais l'obsolescence du système avait fini par le convaincre que c'était une refonte complète qui s'imposait. Fin 1786, il propose en conséquence le remplacement du maquis inextricable de taxes existantes par un impôt foncier unique, la "subvention territoriale". C'est taxer de fait les biens des ordres privilégiés et au vu du projet, Louis XVI s'exclame : "C'est du Necker tout pur que vous me donnez là !".
Pour faire passer sa réforme, Calonne songe alors à mettre les privilégiés au pied du mur et, partisan de la concertation, il obtient fin 1786 la convocation à Versailles d'une "Assemblée des notables", qui se réunit effectivement début 1787. Hormis quelques voix raisonnables, c'est un concert de protestations défendant des avantages acquis historiquement et inaliénables. "Ne rien lâcher" semble la devise des notables réunis et l'Eglise n'est pas la dernière à se faire entendre. Le verdict est clair : la réforme est inapplicable. Calonne a échoué. Il est remercié par le roi en avril 1787.
Louis XVI finit par rappeler Necker. Celui-ci, ne voulant pas recommencer l'expérience désastreuse de l'Assemblée des notables, va proposer au roi de convoquer simplement les Etats-Généraux, une procédure oubliée depuis 175 ans. On connaît la suite…
Karl Marx a dit que l'Histoire s'écrit d'abord comme une tragédie et se renouvelle en farce. C'est peut-être vrai, mais il s'y découvre parfois comme des analogies de situation, ce qui ne veut pas dire – heureusement – que l'issue en soit nécessairement la même.

dimanche 2 juin 2013

Peuple et progrès.




Depuis J-J. Rousseau et ses épigones du XVIII° siècle, il s'est imposé l'idée que la vox populi ne pouvait témoigner que de l'aspiration au progrès, à l'amélioration de la condition humaine, à l'émancipation des contraintes induites par l'ignorance et c'est sur cet axiome que s'est fondée la confiance en la démocratie et la souveraineté populaire.
Très présente durant la Révolution française, cette conviction s'est précisée en se nuançant au cours du XIX° siècle. Au peuple conçu dans sa totalité, terme synonyme de société sinon de nation (le démos des Anciens), s'est progressivement substituée une définition plus restrictive à connotation sociale, "le plus grand nombre, précise le Robert, opposé aux classes supérieures dirigeantes ou aux élites", acception qui introduit la notion de classe sociale que Karl Marx ne tardera pas à théoriser. Cette sorte d'infaillibilité naturelle des couches populaires a imprégné la démarche socialiste et même l'ensemble de la pensée de gauche. "Lui ne trompe jamais", écrit le Victor Hugo des "Châtiments " dans son poème "Au peuple".
Est-ce historiquement si évident ? Loin d'être spontanément progressiste, le peuple (et spécialement celui que les marxistes préféraient appeler "les masses") ne serait-il pas plutôt conservateur ? Quelques exemples historiques tendraient à le montrer.
Il a fallu attendre la fin du XX° siècle pour s'apercevoir que le plus vaste mouvement populaire de la Révolution française ne fut (quelle qu'en ait été l'importance politique) aucune des "journées" insurrectionnelles parisiennes, mais le soulèvement paysan des départements de l'Ouest en 1793-94 contre la Convention. La prise de la Bastille, le 10 août 1792 mobilisèrent à Paris quelques milliers de personnes ; la "virée de galerne", cette incertaine manœuvre des insurgés vendéens qui, passés la Loire, va les conduire jusqu'au rivage de la Manche, s'enflant en cours de route de l'adhésion des paysans des régions traversées, met en mouvement entre 80 et 100 000 participants, hommes, femmes, enfants mêlés, énorme exode qui s'achèvera dans la déroute et le sang. Ce qui motive ces foules est un rejet confus, mais résolu, de l'ordre nouveau qu'instaure la toute jeune République et un attachement aux valeurs fondamentales du monde ancien, la religion et le roi.
En 1848, la Seconde République accorde le suffrage universel, donnant ainsi aux masses populaires l'occasion de s'exprimer démocratiquement. Leur vote élit une assemblée plus conservatrice que ne l'était la Chambre censitaire de la monarchie renversée et, dans la lancée, elle porte à la tête de l'Etat non l'un des chefs du parti républicain, mais le prince Louis-Napoléon Bonaparte, neveu et héritier de Napoléon 1er qui s'empresse quatre ans plus tard de restaurer l'Empire !
Ajoutons que contrairement à une légende complaisante, le régime de Napoléon III a constamment disposé d'un large appui populaire dont témoigne le succès des plébiscites, spécialement du dernier, en mai 1870. Sans la guerre imprudemment engagée contre la Prusse, rien ne laisse supposer l'Empire menacé de l'intérieur et la IIIème République aura bien du mal à se faire accepter.
On objectera qu'il s'agissait des masses paysannes dans une France encore très majoritairement rurale. Vivant au rythme des saisons, peu ouvert au monde extérieur, enfermé dans la survie des cultures folkloriques, le monde paysan traditionnel aurait été naturellement conservateur. Le prolétariat ouvrier, lui, ayant pris conscience de sa force, éduqué et structuré par ses syndicats et ses organisations politiques,  aurait en revanche relevé le flambeau du progrès.
Certes, mais à y regarder de plus près et au-delà d'incontestables conquêtes sociales, d'ailleurs rendues possibles grâce à l'énorme création de richesses consécutive aux révolutions industrielles, l'encadrement des masses ouvrières par des mouvements promettant l'égalité et la justice a débouché sur la réalité des totalitarismes. L'aspiration au progrès, dont les masses étaient censées être porteuses, leur était en réalité soufflée par des doctrinaires et non le produit d'une conscience populaire spontanée. Elle avait d'ailleurs ses limites. L'émancipation des mœurs, qui fut l'une des grandes nouveautés de la seconde moitié du XX° siècle, n'a pas rencontré chez les maîtres à penser de la classe ouvrière l'adhésion qu'on aurait pu attendre de promoteurs d'une humanité libérée. : en 1956, le Parti communiste français condamnait le contrôle des naissances… Et que penser du soutien populaire massif dont bénéficièrent le fascisme et le nazisme quand ils s'instaurèrent dans l'Italie et l'Allemagne de l'entre-deux-guerres ?
Les masses populaires n'ont pas de vocation spéciale et innée au progrès. Elles manifestent plutôt une méfiance prudente à l'égard des nouveautés dont elles redoutent toujours – conséquence d'une expérience séculaire – des retombées négatives. Elle ont conscience de leur condition et savent d'instinct que s'il y a des perdants, elles seront les premières victimes. Elles croient volontiers les prophètes, des millénaristes du Moyen-âge aux thuriféraires de la révolution, mais constatent aussi qu'elles sont toujours déçues et que n'arrivent jamais, ni le règne de l'Esprit, ni le grand soir, ni les lendemains qui chantent. Plus prosaïquement, elles réalisent aussi que le changement promis pour maintenant n'est en réalité que la continuité sous un autre langage.
S'il leur arrive de se révolter, ce n'est pas forcément dans le sens de ce progrès dont rêvent les philosophes, mais plutôt pour sauvegarder ce qui existe déjà. Si quelque démagogue habile sait alors saisir l'occasion, ce n'est pas la révolution qui s'annonce, mais au contraire le conservatisme, sinon la réaction.
Il serait redoutable, aujourd'hui, d'oublier cette leçon de l'Histoire.

mardi 28 mai 2013

Politiquement correct.



En 1952, le bon Georges Brassens interprétait une chanson de sa composition aussi gaillarde que roborative :"Gare au gorille !".
On connaît l'argument. Un patron de ménagerie présente au public, dans une cage, un superbe gorille mâle aux attributs impressionnants que lorgnent avec insistance les femmes présentes. Or, voici que l'animal brise la cage et s'échappe.
Tout le monde se précipite       
Hors d'atteinte du singe en rut,           
Sauf une vieille décrépite        
Et un jeune juge en bois brut;  
Voyant que toutes se dérobent,          
Le quadrumane accéléra          
Son dandinement vers les robes          
De la vieille et du magistrat !  
Gare au gorille !...        

"Bah ! soupirait la centenaire, 
Qu'on puisse encore me désirer,          
Ce serait extraordinaire,          
Et, pour tout dire, inespéré !" ;
Le juge pensait, impassible,     
"Qu'on me prenne pour une guenon,   
C'est complètement impossible..."      
La suite lui prouva que non !   
Gare au gorille !...        

Supposez que l'un de vous puisse être,           
Comme le singe, obligé de      
Violer un juge ou une ancêtre,
Lequel choisirait-il des deux ?
Qu'une alternative pareille,      
Un de ces quatre jours, m'échoie,       
C'est, j'en suis convaincu, la vieille     
Qui sera l'objet de mon choix !           
Gare au gorille !...

En 2013, Georges Brassens serait accusé d'homophobie dissimulée et son portrait serait affiché sur le "mur des cons" du Syndicat de la magistrature. Encore une chance s'il échappait au soupçon d'incitation au viol et s'il ne se trouvait pas quelque association l'incriminant de maltraitance d'une espèce animale menacée et protégée.
Il faut ajouter – circonstance aggravante – que Georges Brassens fumait la pipe.
Gare à la bêtise !

lundi 27 mai 2013

Le président normal.



Il a pu paraître étrange que le président Hollande ait choisi Leipzig et une allocution devant un public étranger pour annoncer ce qui sera retenu, selon toute probabilité, comme le tournant décisif de son quinquennat. Et cela une semaine après une conférence de presse assez terne, hormis des propositions sur l'Europe qui – déjà un signe – ne faisaient que reprendre celles que son prédécesseur avait formulées dès octobre 2008 devant le Parlement européen.
Mais pouvait-il en être autrement ? Nous évoquions ici, dès fin 2012, le virage qui s'amorçait avec le pacte de compétivité et l'esquisse d'une continuité avec la politique précédemment menée. En assumant pleinement, à Leipzig, une orientation sociale-libérale plus proche de Tony Blair et Gerhardt Schröder (nommément cité) que des illusions que persiste à entretenir son électorat en France, François Hollande mettait ce dernier (et le PS avec lui) face au fait accompli tout en en amortissant l'effet.
Il est remarquable de constater combien les médias de gauche ont minimisé ces déclarations, se limitant à les présenter comme une sorte de politesse à l'égard de ses hôtes du SPD ou en en faisant un compte-rendu édulcoré. Alors qu'il s'agissait d'un événement politique majeur, "Le Monde" du 25 Mai le reléguait en page 4, sans mention de l'article dans son sommaire de première page et sous un titre lénifiant tiré du discours et qui n'engageait pas à grand-chose : "le réalisme, ce n'est pas le renoncement à l'idéal". Certes, mais on aurait pu ajouter : l'idéal, c'est la perfection, donc l'inaccessible.  De façon d'ailleurs moins dérobée, le journal reconnaissait qu'"une partie de l'intervention du chef de l'Etat semblait autant destinée à la gauche française qu'au public allemand". O combien !
La convaincra-t-il ? Déjà, au sein du PS, des voix s'élèvent, parlent de trahison. Mélenchon n'a rien dit, mais on ne perd rien pour attendre. Surtout, une masse de gens qui ont voté Hollande en Mai 2012, imaginant vraiment que le changement, c'était maintenant, ne comprend plus et se sent une nouvelle fois flouée. Mais c'est fait, Hollande l'a dit, il devient enfin un président normal.
Normal au sens que prend ce mot dans le cadre de la présidence quinquennale, c'est-à-dire un homme seul qui doit se montrer déterminé, oublier qu'il fut un chef de parti surtout quand ce parti persiste à formuler le langage de l'utopie et le déni des réalités, se montrer pragmatique, ne pas s'enfermer dans la vaine vindicte à l'égard de son prédécesseur dont, qu'il le dise ou non, il poursuit l'action entreprise et dont il doit imiter la fermeté face à la rue. Ainsi, il ne cédera pas face aux centaines de milliers de manifestants hostiles au "mariage pour tous" et il aura raison, non parce que cette réforme était nécessaire, mais parce qu'elle a été votée. Il pourra ainsi résister aux prévisibles centaines de milliers de protestataires qui défileront lors de la future réforme des retraites qui, contredisant les propos définitifs du PS de 2010, portera de-facto l'âge de la cessation d'activité à 65 ans, sinon plus. Il se donnera le courage de réformer la politique sociale pour sauver ce qui peut l'être, de simplifier l'administration et de réduire le nombre des fonctionnaires.
Avec quelle majorité ? Là est toute la question. Déconcerté, déstabilisé, le parti socialiste risque de se diviser. Une dissidence semblable à celle qui, il y a 55 ans, vit naître le "parti socialiste autonome" contre la politique algérienne de Guy Mollet est possible. Contre elle, le président dispose d'une arme absolue, la menace de dissolution. Vu l'état des lieux, maints députés socialistes n'ont guère de chance de retrouver le Palais-Bourbon et cette perspective rend docile tout élu récalcitrant. Mais ce choix conduirait cependant François Hollande à envisager éventuellement de se constituer une autre majorité, avec le risque de cette cohabitation que le quinquennat façon Jospin devait à jamais écarter.
Sera-t-il capable de le faire s'il se découvre acculé ? C'est au courage qu'il manifestera dans les mois qui viennent qu'on jugera si on l'a quelque peu sous-estimé et si un authentique homme d'Etat ne se cachait pas derrière celui que d'aucuns surnommaient déjà "pépère".
Comme l'énonçait (un peu vite) Lamarck : la fonction crée l'organe.

samedi 25 mai 2013

Actualité.


Jeudi 23 mai. A l'aube, deux attentats simultanés contre un camp militaire et les exploitations minières d'Areva au Niger ont fait, on l'apprend vite, une vingtaine de morts. La veille, un soldat britannique a été assassiné de façon horrible dans une rue de Londres par deux fanatiques islamistes. A Stockholm, les ghettos de banlieue sont en ébullition, comme à Paris en 2005 et à Londres en 2011. A Leipzig, le président Hollande est arrivé aux commémorations des 150 ans du SPD et il s'apprête à y prononcer un important discours…
Qu'importe ! Sur une grande chaîne publique de radio, le bulletin de 13 heures s'ouvre sur une information d'une dimension autrement importante : Georges Moustaki est mort. Et pendant six ou sept minutes, on s'attarde longuement sur la personnalité et l'œuvre d'un artiste certes sympathique et délicat, mais dont la plupart des moins de trente ans ignore même le nom. On sollicite quelques vieilles vedettes à la mémoire parfois défaillante pour dire, comme il convient, les formules attendues et tout le bien qu'elles pensent d'une personnalité récemment défunte. Au terme de la nécrologie et suite à la petite musique transitionnelle, on commence enfin à parler du reste, les deux attentats, le crime de Londres, etc…
Ce n'est qu'un détail, mais il donne la mesure de l'inanité du brouhaha médiatique qui, hors quelques émissions de qualité, tient lieu d'information dans l'espace audio-visuel. En noyant tout, l'anecdotique et l'essentiel, l'important et le dérisoire dans le même fleuve de paroles, la culture de masse travaille patiemment, non seulement à la dépolitisation, mais à l'infantilisation de ce qu'on appelait autrefois le peuple et qu'on nomme aujourd'hui les masses.
Après, on s'étonne de l'ignorance des fondamentaux, des raisonnements simplistes, pour ne pas dire puérils qui règlent tous les problèmes sur la base du "n'y a qu'à" et qui font fi des plus élémentaires réalités. On s'alarme du crédit des démagogues, de gauche comme de droite, dont le "pensée" se réduit à des slogans. On s'effraie de la montée des "populismes".
Avouons qu'on a tout fait pour en arriver là et qu'on persiste.

mercredi 15 mai 2013

Sur l'escamotage d'une promesse de campagne.





On prête au président Hollande l'intention d'introduire dans la Constitution plusieurs de ses propositions de campagne, mais il en est une qui s'est pour ainsi dire escamotée, le droit de vote des étrangers aux élections locales. On a le sentiment que le pouvoir redoute les réactions d'une opinion qui, nonobstant les sondages, resterait en réalité hostile au projet. Après les remous provoqués par le mariage-pour-tous, ce serait prendre le risque d'apporter un nouvel argumentaire à l'opposition et, pire encore, à une extrême-droite déjà en pleine progression.
Faut-il voir derrière ces hésitations la prise de conscience d'une réalité profondément enracinée dans l'histoire et qu'on pourrait définir, en paraphrasant De Gaulle, comme "une certaine idée de l'identité française".
La précédente mandature avait tenté un débat sur l'identité nationale, aussitôt pollué par les accusations mêlées de nationalisme, sinon de racisme, de complaisance à l'égard des thèmes du Front national quand ce n'était pas d'islamophobie rampante. En fait, le climat d'hystérie anti-Sarkozy rendait le débat impossible et finissait par occulter l'essentiel : il existe en France un puissant sentiment identitaire, l'un des plus consistants d'Europe et un rien suffit à le réveiller. Il est piquant de voir certains qui s'insurgeaient naguère  contre l'idée même d'identité nationale s'enflammer aujourd'hui et crier au suicide culturel quand l'Université envisage de diffuser certains cursus scientifiques dans ce global english qui est devenu, pour la recherche, l'équivalent du latin il y a trois siècles : la lingua franca internationale.
La forte perception unitaire du peuple français a de très lointaines racines historiques. La France est l'un des plus anciens états d'Europe et être Français fut d'abord (et longtemps) être sujet du roi de France. Dès le XVI° siècle, sinon le XIV°, la règle voulant que tout enfant né dans le royaume soit sujet du roi a fondé le droit du sol, toujours appliqué. Celui-ci s'est avéré une puissante machine à assimiler les apports étrangers multiples et il a fait historiquement (et contrairement à des affirmations partisanes) du peuple français l'un des moins xénophobes du monde. Non seulement l'étranger a été le bienvenu, mais il s'est totalement intégré dès la première génération au point qu'il n'est pas rare de le voir accéder à de hautes fonctions.
Sous l'Ancien Régime, la France a souvent été gouvernée par des personnalités non-françaises de naissance, à commencer par ces reines-régentes que furent Catherine de Médicis ou Anne d'Autriche. Cette dernière confia de considérables responsabilités au cardinal Giulio Mazzarini et Louis XVI n'hésita pas à faire contrôleur général des finances (et pratiquement premier ministre) le Suisse Jacques Necker.
Après la Révolution, comment ne pas remarquer que les parents de Napoléon Bonaparte avaient été dans leur jeunesse sujets génois, tout comme le comte Corvetto, ministre des finances de Louis XVIII ou les parents de Léon Gambetta. Sous la IIIème République, William Henry Waddington, qui fut Premier ministre en 1879, était né d'un père écossais et, beaucoup plus près de nous, Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa, fils d'un immigré hongrois, est devenu président de la République ! Au même moment, trois ministres attestaient des origines étrangères, marocaine pour Rachida Dati, algérienne pour Fadela Amara et sénégalaise pour Rama Yade. Dans l'actuel gouvernement de Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici a des origines roumaines, Najat Vallaut-Belkacem, Yamina Benguigui et Kader Arif ont des parents maghrébins et Fleur Pellerin, enfant adoptée, est de naissance coréenne. La tradition se prolonge donc.

Pourquoi dès lors la question du droit de vote des étrangers grippe-t-elle ? Parce que dans l'inconscient collectif, l'étranger n'est pas un immigré, mais un expatrié.
Précisons. L'immigré est considéré comme ayant fait un choix, celui de se fixer dans le pays où il est parvenu et d'en devenir citoyen. Cette acquisition de la citoyenneté se fait par la naturalisation. Celle-ci, qui ouvre à tous les droits dont disposent les nationaux, ne suppose a-priori nulle volonté de retour au pays de ses origines, sinon dans une démarche de visite, de pèlerinage sentimental. En revanche, l'expatrié demeure un étranger dont le séjour, même s'il se prolonge, n'a pas pour vocation de devenir pérenne. S'il souhaitait rester, il entreprendrait les démarches nécessaires pour se faire intégrer. L'opinion commune ne voit donc aucune raison légitime de lui permettre d'intervenir dans les mécanismes démocratiques d'un peuple auquel il n'appartient pas en tant que citoyen et dont le devenir lui est extérieur. L'argument que par sa présence, son travail, il participe de la vie de la nation hôte ne convainc pas : ayant personnellement passé quinze années de ma vie à travailler comme Français expatrié dans deux pays différents, il ne me serait jamais venu à l'esprit de revendiquer un droit quelconque à participer à la vie politique de ces nations alors que je votais en France, dont j'étais citoyen.
Il s'agit donc d'un débat biaisé où les arguments idéologiques entrent en conflit avec le sens commun, qui commande très généralement les réactions de l'opinion publique majoritaire. S'il paraît normal – droit du sol s'imposant – que les enfants d'étrangers acquièrent automatiquement la citoyenneté française et, devenus majeurs, bénéficient de ses droits, il semble contestable de l'accorder à des parents ayant conservé leur nationalité d'origine. Certains sont là depuis longtemps, objectera-t-on, mais alors, pourquoi n'ont-ils pas choisi la voie de l'intégration par la naturalisation ? Contrairement à une idée reçue, celle-ci s'acquiert plus facilement qu'on le dit. Un rapport de l'INSEE de 2006 montre qu'entre 1999 et 2005, un million d'étrangers ont reçu la nationalité française et les modalités se sont même assouplies depuis cette date.
Les politiques qui défendent le principe du vote des étrangers obéissent à deux modes de motivation (qui parfois s'entrecroisent). L'un, assez trivial, est un calcul électoraliste à court terme. L'autre est une vision cosmopolite et assez iréniste de la démocratie qui, prenant appui sur l'ouverture à la participation électorale des citoyens de l'Union européenne,( démarche d'essence différente puisque l'Union est censée tendre vers une entité politique commune), veulent étendre cette prérogative à la totalité du genre humain. En dehors des objections formulées ci-dessus, les conditions propres à la France actuelle ouvriraient au risque de l'apparition de mouvements communautaires et nous retrouvons là la puissante tradition dont nous faisions état en commençant : la France est assimilatrice et ouverte à tous sous condition d'adhérer pleinement aux valeurs qui ont, depuis des siècles, exprimé l'identité culturelle française. C'est ainsi et il est impossible de n'en pas tenir compte.
François Hollande l'a compris. Soulever ce problème serait non seulement un nouveau facteur de clivage de la société, mais ce serait offrir un formidable argumentaire à un populisme de droite qui n'en a nul besoin et qui est déjà suffisamment menaçant pour qu'on ne lui donne pas l'occasion de le devenir plus encore.

jeudi 9 mai 2013

Une usure prématurée.


Une usure prématurée.



Début mai 2013, des sondages nous apprennent que l'indice de confiance du président Hollande a atteint 25%, peut-être même qu'il est déjà passé au dessous de ce seuil.
Certes, on a vu pire. Entre février et mai 2011, après la mise en application de la retraite à 62 ans et en pleine querelle sur l'application de la "règle d'or", Nicolas Sarkozy a chuté à 20% et avant lui (record absolu), Jacques Chirac, après la lamentable reculade sur le "Contrat première embauche" (CPE), plongeait l'été 2006 à… 16%. Simplement, Sarkozy arrivait en fin de mandat (et il allait opérer une remontée spectaculaire, le plaçant à 37% en avril 2012 et lui permettant de capitaliser le mois suivant 48,37% des suffrages). Quant à Jacques Chirac, il s'apprêtait à se retirer de la vie politique après 12 ans de présence à la tête de l'Etat, et notons d'ailleurs que son indice serait lui aussi redressé à 30% en mai 2007.
François Hollande, lui, n'est élu que depuis un an et il a devant lui quatre années à assumer. Le problème n'est donc pas tout à fait le même.

L'alternative est claire. Ou les Français reprennent confiance et la cote du président remonte rapidement, comme ce fut le cas dans les précédents cités, ou l'érosion se poursuit et vu la durée du mandat à exécuter, il risque de se poser un vrai problème de légitimité. Le caractère éminemment présidentiel de la Constitution, sous le système quinquennal, ne peut s'accommoder longtemps d'un chef suprême qui ne dispose de la confiance que d'un citoyen sur quatre, sinon cinq. Déjà, lors des déplacements internationaux (le dernier a eu lieu en Chine), les dirigeants étrangers qui l'accueillent ne peuvent ignorer cette donnée même s'ils sauvegardent les apparences : quel est le niveau de crédibilité réelle d'un homme aussi désavoué un an après son élection ? L'hyperprésidence, consubstantielle aux actuelles institutions, est-elle compatible avec un si maigre prestige ?
La question est d'autant plus préoccupante que si le président décroche, d'autres progressent, et non du côté de l'opposition parlementaire (où l'absence d'un leader incontesté et d'un projet politique clair continuent à se faire sentir), mais dans l'espace contestataire des indignés de tout poil où le slogan et la solution-miracle persistent à prospérer. Si malgré les postures théâtrales, les invectives et les rassemblements prétendument massifs, le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon stagne autour des 11% qu'il atteignit lors des scrutins de 2012, Marine Le Pen poursuit silencieusement sa progression et affiche, début mai 2013, 36% d'opinions favorables. Pire, une analyse plus poussée témoigne qu'à l'intérieur d'un potentiel qui rappelle celui du PCF à sa grande époque, il faut compter 53% d'ouvriers et 42% d'employés, ces catégories qui caractérisaient naguère le "peuple de gauche". Aveuglement ou méthode Coué, les médias (et spécialement ceux de gauche) persistent à dénoncer la prétendue attraction du FN sur l'électorat de droite alors que c'est en réalité le réservoir des voix de gauche qui se trouve progressivement siphonné. Nicolas Sarkozy l'avait peut-être compris et là serait la clé de la "droitisation" de sa campagne de 2012 : attirer les suffrages populaires qui glissaient vers le FN en insistant sur ce qui les séduisait dans le discours de Marine Le Pen, non pas le protectionnisme ou la sortie de l'euro, mais les problèmes d'immigration, d'insécurité, d'identité culturelle. Et il aurait en ce sens mieux réussi qu'on veut bien le dire, comme l'ont montré ses résultats réels comparés à ceux que lui promettaient les supputations pré-électorales.

Tout cela est fort inquiétant et devrait commander la future stratégie du président Hollande avec comme unique interrogation : comment reconquérir l'opinion ? Et pour cela, comment gouverner vu la conjoncture, et avec qui ?
Dans les semaines qui viennent, va s'avérer avec de plus en plus d'insistance l'effritement de la majorité. Hollande est arrivé à l'Elysée sans s'être départi de son costume de Premier secrétaire du PS. Même si on avait pu le soupçonner de manœuvre, Sarkozy avait su engager l'ouverture : Hollande, lui, a construit un cabinet exclusivement socialiste, même si quelques strapontins ont été attribués à de chétifs alliés. Il a fait comme si le PS était une structure homogène, prête à le soutenir inconditionnellement or, c'est loin d'être le cas et, hormis la hantise de la réélection qui habite tout député (attitude qui a cependant ses limites si la certitude de la défaite se profile et qu'il convient alors de penser à sa réputation), une part grandissante de la représentation socialiste regimbe et ne se reconnaît pas dans les choix présidentiels qui ressemblent de plus en plus à ceux de la précédente mandature, même s'ils usent d'un langage différent. En ce printemps 2013, la Commission de Bruxelles tend au président Hollande une feuille de route qui ne peut que tétaniser nombre de socialistes : régler rapidement la question des retraites, diminuer le coût du travail et ouvrir à la concurrence le domaine des services. Le président peut-il conduire cette politique avec la majorité dont il dispose ? Ne va-t-il pas assister à des défections, peut-être même à des dissidences ? A moins de 25% d'opinions favorables, a-t-il encore l'autorité nécessaire pour imposer ses vues ?
Oui, sans doute, mais à condition de s'émanciper du PS, de se montrer (enfin) le président et non un chef de parti. Cela suppose un élargissement de majorité dont un remaniement ministériel (on en parle) pourrait être la première étape. Dans l'actuelle confusion, un appel aux bonnes volontés, un affranchissement des a-prioris idéologiques, de toute manière dépassés, semblent une nécessité. La recomposition ne peut être qu'un recentrage.
François Hollande en est-il capable ? Certes, il n'a pas naturellement le profil hyperprésidentiel, qui exige moins la discussion que l'autorité et la détermination, mais il a montré naguère à propos du Mali qu'il pouvait surprendre. A ce prix, il retrouverait certainement un capital de confiance. Au fond, c'est une figure nouvelle de la cohabitation qui pourrait sauver le quinquennat, serait-ce au prix de l'éclatement des formations politiques qui ont condamné depuis des décennies la France à un pseudo-bipartisme dont on mesure aujourd'hui combien il est artificiel et préjudiciable.

dimanche 14 avril 2013

L'ascenseur social.




Singulière information dans la presse du 12 avril :"les internats d'excellence ont vécu".
De quoi s'agissait-il ?  D'une mesure imaginée en 2008 par le Ministère de l'Education nationale et qui visait à offrir des conditions favorables d'étude et de réussite à des collégiens et lycéens, issus de milieux défavorisés et dont les résultats scolaires étaient encourageants… Ce qu'on appelait avant le politiquement correct de "bons élèves".
En 2009, le premier "internat d'excellence" avait été ouvert à Sourdun, dans l'académie de Créteil, dans les locaux d'une ancienne caserne de cavalerie. Douze autres avaient été créés en 2010, puis neuf en 2011, soit 21 en tout. Le plan de 2008 envisageait à terme la scolarisation dans ces conditions de 20 000 jeunes, garçons et filles. En juillet 2012, le taux de réussite au baccalauréat des pensionnaires de Sourdun avait été de 80%, la norme jadis souhaitée par M. Chevènement.
On imagine aisément le profil type de l'élève de l'internat d'excellence : un enfant venu des banlieues, famille monoparentale ou en situation de précarité, milieu familial de faible niveau culturel, parfois d'origine étrangère, et n'étant en aucun cas en mesure de soutenir la fille ou le garçon dans son parcours scolaire. On imagine également le climat du collège local auquel la carte scolaire enchaînait l'élève : établissement de ZEP avec tout ce que dissimule ce sigle de désordre, de violence, de difficulté à travailler et à progresser. On devine le bonheur qu'a dû représenter pour ces quelques milliers d'adolescents (4713 à la rentrée 2012) : l'inscription dans les internats, la découverte soudaine de conditions de vie et de travail inespérées qui leur offraient pour la première fois la perspective de pouvoir "s'en sortir".
C'est tout cela qui disparaît suite à la déclaration lapidaire du directeur de l'enseignement scolaire du Ministère : "Les internats d'excellence auront été une étape dans l'histoire de la relance des internats, réponse coûteuse et partielle et à ce double titre, ils doivent rentrer dans le rang."
Retenons les arguments : mesure coûteuse ? L'était-elle plus que le recrutement de 60 000 enseignants supplémentaires ? Mesure partielle, rentrer dans le rang ? Il y a évidemment un côté discriminatoire à écrémer les couches populaires de leurs éléments prometteurs mais en dehors de l'aide qu'on leur apporte, n'est-ce pas aussi à terme un profit pour la nation et n'est-ce pas conforme à ce que souhaitaient, il y a cent trente ans, les fondateurs de l'école publique ? N'est-ce pas cela qu'on nommait naguère "l'ascenseur social", dont on nous dit qu'il est aujourd'hui en panne ?

Il y a quand même un étrange paradoxe à voir la gauche de gouvernement s'ingénier à détraquer chaque fois qu'elle en a l'occasion le mécanisme du fameux ascenseur.
Il existait autrefois, sinon des internats d'excellence, du moins une filière qui n'était pas sans leur ressembler : les Ecoles normales primaires départementales, chargées de former instituteurs et institutrices publics. Recrutant sur concours, elles drainaient les bons élèves issus des milieux populaires, leur permettant d'atteindre un niveau d'étude ouvrant à la haute culture. Certains – les meilleurs – se voyaient même attribuer volontiers des bourses qui les conduisaient en classes préparatoires et d'aucuns intégraient une Ecole Normale Supérieure. En 1989, sous le gouvernement de Michel Rocard, le ministre Lionel Jospin a jugé bon de les supprimer pour les remplacer par les calamiteux IUFM. Fin de la filière.
Aujourd'hui, c'est sous un gouvernement socialiste que le ministre Vincent Peillon supprime les internats d'excellence sous prétexte qu'ils coûtent trop chers. Nouvelle fin de filière…
 C'est à n'y rien comprendre. On n'ose pas croire que c'est au nom de quelque idéologie égalitaire qui reviendrait à tout niveler car le compte n'y est pas. Pendant la Révolution française, une chanson de sans-culotte clamait : " Il faut raccourcir les géants / Et rendre les petits plus grands / Tous à la même hauteur ! / Voilà le vrai bonheur !". Dans le cas qui nous intéresse, on ne prend vraiment pas le chemin de rendre les petits plus grands. Bien au contraire, on les renvoie d'où ils viennent. Les élèves qui voulaient travailler, qui prenaient à cœur leur scolarité vont retrouver le collège où ils se feront traiter de bouffons et ils ne risqueront certes pas d'accéder à une prépa, ni même sans doute à l'Université. Ainsi, ils ne viendront pas troubler la quiétude des enfants de cadres supérieurs ou d'enseignants qui n'ont pas besoin qu'on les prenne en charge et qui continueront tranquillement à peupler les grandes écoles, puis les cabinets ministériels et l'appareil des partis politiques, en particulier de gauche.
Alors ? Etrange conjoncture, mais n'aurions-nous pas oublié un paramètre dans cette tentative de comprendre l'indéchiffrable ?
La création des internats d'excellence était une idée du quinquennat Sarkozy. Que n'y avions-nous pas pensé !
Tout s'explique dorénavant : "Vade retro, Satanas!".

samedi 6 avril 2013

Avis de tempête.




Dans le précédent billet, nous regrettions le harcèlement judiciaire auquel se livrent certains magistrats, plus animés, semble-t-il, par l'esprit partisan, sinon la volonté de nuire, que par une sereine quête de la vérité. Nous insistions sur le risque d'affaiblir les institutions que ces pratiques impliquent et nous prenions l'exemple historique des Parlements de l'Ancien Régime, qui sapèrent la monarchie en entravant systématiquement ses tentatives de réforme.
L'actualité nous a soudain rattrapés, révélant des manquements dont les dimensions réduisent la plupart des "affaires" en cours au rang de simples péripéties. On apprenait coup sur coup que l'un des plus importants ministres, chargé de réprimer la fraude fiscale, était lui-même un fraudeur qui blanchissait de l'argent en Suisse et à Singapour (imaginons le Préfet de police convaincu d'être un gros trafiquant de drogue), puis, dans la lancée, que le trésorier de campagne du candidat qui affirmait que "son seul ennemi, c'est la finance" se révélait être l'un de ces affairistes interlopes qui brassent des millions venus dont ne sait d'où dans des paradis fiscaux exotiques… Les jours suivants, des organes de presse mettaient à jour les réseaux organisés d'évasion fiscale à grande échelle, citant nommément d'importants établissements bancaires et affirmant détenir des listes de noms comportant nombre de personnalités politiques, de droite comme de gauche. Cette fois, il n'était plus permis de reprocher à quelques juges de manier inconsidérément le fouet quand on voyait la République elle-même couper les verges pour se faire flageller.
La République ? Peut-être est-ce vite dit, ce sont en fait ses gestionnaires qui sont en cause; cette classe politique dont nous disions, naguère et ici même, qu'elle était de plus en plus déconnectée des citoyens. De Dominique Strauss-Kahn, qui se considère affranchi des règles de la morale commune, à Jérôme Cahuzac, traqueur des fraudeurs et fraudeur lui-même, l'image se précise de gens de pouvoir que, précisément, le pouvoir a enivrés au point qu'ils en sont arrivés à vivre dans un monde parallèle.
N'empêche que le choc est colossal. Ce ne sont pas seulement des individus qui se trouvent mis en cause, mais le fonctionnement même des institutions et par là même, les fondements de la République. Nombreux sont ceux à parler de crise de régime et il faut remonter très loin, peut-être jusqu'au scandale de Panama de 1892, où il s'avéra que nombre de parlementaires, tant députés que sénateurs, avaient été corrompus et où un ministre finit condamné à cinq ans de prison, pour découvrir un équivalent.

Que peut faire le gouvernement, face à cette tempête qui finit d'emporter ce qui reste de crédit à l'autorité de l'exécutif ? Avant l'affaire Cahuzac, l'indice de confiance du président Hollande atteignait 27%, le taux le plus bas enregistré au bout de onze mois de mandat. A quel niveau va-t-il se retrouver maintenant ? Au dessous de 25%, le degré de défiance est tel que l'autorité nécessaire pour gouverner réellement commence à faire défaut. En accordant foi aux dénégations de Cahuzac, le président et le premier ministre ont donné l'impression, ou d'être des naïfs, ou pire, de dissimuler une vérité qu'ils connaissaient. Pris dans la nasse, le pouvoir ne semble voir d'échappatoire que dans des bricolages improvisés. Réduire l'événement à un cas personnel ? La menace de nouvelles révélations rend l'exercice dangereux et peut conduire au soupçon généralisé. Proposer un référendum sur la moralisation de la vie politique comme certains le suggèrent ? C'est prendre le risque insensé d'un désaveu public, l'électeur répondant plus à qui pose la question qu'à la question elle-même. Remanier le gouvernement ? Les gens n'y verront que rafistolage sauf…
Sauf s'il ne s'agit pas d'un simple remaniement, mais d'une profonde rupture.

Après un an d'alternance, il est devenu évident que devant les problèmes que rencontre le pays, il n'y a pas plus de réponse de gauche qu'il n'existe de réponse de droite. Face au mur des questions incontournables qui ne laissent pratiquement aucune marge de manœuvre réelle, la politique suivie ne peut que s'inscrire dans une continuité. On fait pareil avec d'autres gens et d'autres mots. Le PS en 2010 claironnait que, revenu au pouvoir, il ramènerait l'âge de la retraite à 60 ans : il vient de le porter de-facto à 65, sinon 67 si l'on veut un taux plein (ce à quoi tout le monde aspire). Le "pacte de compétitivité" établi en janvier aurait pu être souscrit par le précédent gouvernement. Le changement promis en 2012 n'est en réalité qu'un changement de personnes.
Alors, plutôt qu'à poursuivre un jeu stérile, les partis de gouvernement, qui ne font ni prestidigitation, ni démagogie éhontée, devraient unir leurs efforts. Il en va de l'avenir de la démocratie représentative car la menace se précise et le sentiment commun d'écoeurement pourrait brusquement la concrétiser. A gauche, un ambitieux démagogue pétri de frustrations appelle quasiment à l'insurrection dans la rue. A droite, d'aucuns rêvent à voix haute d'un "mai 68" à l'envers qui prendrait appui sur le succès inattendu des manifestations s'opposant au "mariage pour tous". Les uns comme les autres en appellent au rejet des "élites" et véhiculent un profond anti-parlementarisme. Un parti ouvertement nationaliste et anti-européen, longtemps marginal, est en train de s'imposer comme une formation capable de rivaliser au plan électoral avec les partis traditionnels de gouvernement. Faire semblant de ne pas voir ces périls est suicidaire.
Sans attendre des échéances électorales qui risquent de toute façon d'être pour le PS désastreuses, le président Hollande devrait monter clairement que loin d'être le chef d'une faction, il est le président du peuple français et, renonçant à l'uniformité socialiste de son gouvernement, engager une courageuse ouverture sur le thème de la défense de la République. Cela impliquerait sans doute pour lui une sorte de retrait, l'abandon d'une part de ces prérogatives quasi-régaliennes que le quinquennat lui a attribuées et le retour à un rôle plus déterminant accordé au premier ministre (ce qu'on a connu naguère avec les cohabitations). Une personnalité nommée à Matignon, caractérisée par sa compétence, sa probité, son refus du sectarisme et susceptible d'être acceptée par les divers courants (on peut penser par exemple à Pascal Lamy) ouvrirait la possibilité d'une coalition d'union nationale, où pourraient se retrouver associés socialistes lucides, centristes et, pourquoi pas, la partie de l'UMP qui s'est naguère reconnue derrière François Fillon.
Pour quelle politique ? Mais simplement celle dans laquelle s'engageait le gouvernement Ayrault au moment du déferlement de l'ouragan Cahuzac et à laquelle, sorties des habituelles postures partisanes, les formations sus-nommées n'aurait aucune raison de ne pas se rallier.
Evidemment, on dira qu'il s'agit de rêve, de politique-fiction, mais prenons garde, regardons autour de nous, l'Italie en perdition, la Hongrie, la Grèce, la Flandre belge où montent de redoutables forces populistes, sinon néo-fascistes. Il est peut-être temps que les démocrates, qu'ils soient de gauche, du centre, de droite serrent les rangs. Nous ne sommes pas en 1934, mais nous nous en rapprochons dangereusement.






vendredi 22 mars 2013

Qui sème le vent peut récolter la tempête.




Ainsi, l'ancien président Sarkozy est inculpé. En ces temps où les sourds sont des malentendants et les aveugles des malvoyants, on dit "mis en examen. Pour "abus de faiblesse, abus de confiance et escroquerie aggravée", jugez du peu !
La semaine dernière, le ministre du budget Jérôme Cahuzac devait démissionner suite à l'ouverture d'une information par le Parquet de Paris pour "blanchiment présumé de fraude fiscale" !
Loin de nous l'intention de défendre inconditionnellement la classe politique, mais la magistrature donne quand même un peu l'impression de jouer aux quilles avec les personnalités de pouvoir. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, son implication dans l'imbroglio des Bettancourt, ténébreuse affaire au parfum balzacien où se croisent haines familiales, ragots de domestiques plus ou moins stipendiés, tapage médiatique, paraît bien difficile à établir, mais qu'importe. Certains imaginent des complots, les choses sont sans doute plus simples : les gens de justice, que Sarkozy ne ménagea guère, ont là l'occasion de prendre leur revanche. C'est un juge d'instruction, espèce que l'ex-président voulait voir disparaître, qui le poursuit en lui lançant comme autant de projectiles cette avalanche d'accusations. Et de plus (ironie des patronymes), il se nomme Gentil.
La question n'est pas de savoir comment tout cela finira, (vraisemblablement tel un fleuve s'asséchant dans le vaste désert des tergiversations juridiques, comme Clearstream et d'autres affaires), mais de discerner à qui profite in-fine cette agitation et ces invectives ? En un temps où montent les divers populismes, où prospère le discours bien connu du "tous pourris", on le devine. C'est le régime même que, drapés dans leur toge, les juges sapent. Et, indirectement, en faveur d'un redoutable inconnu où eux-mêmes ont sans doute tout à perdre. Là encore, l'histoire offre un exemple.

Sous l'Ancien Régime, la justice était l'affaire des Parlements, qui tenaient lieu de cours d'appel et dont les membres, propriétaires de leur charge comme sont aujourd'hui les notaires, assuraient ainsi leur indépendance relativement au pouvoir royal. En plus de leur rôle judiciaire, les Parlements (et en premier lieu le plus important, le Parlement de Paris) enregistraient les ordonnances et édits royaux après avoir – en bons juristes – vérifié leur compatibilité avec les textes législatifs déjà existants. S'il apparaissait une discordance, ils en avertissaient le pouvoir en "remontrant" le texte afin de le mettre en conformité, tâche qui incomberait de nos jours au Conseil d'état ou au Conseil constitutionnel. C'était le "droit de remontrance", le mot n'étant alors absolument pas imprégné du sens pénalisant dont il s'est aujourd'hui chargé.
Lors des troubles qui avaient suivi la mort de Louis XIII (la Fronde), le Parlement de Paris, jouant d'une homonymie avec le Parlement d'Angleterre, avait prétendu contrôler les finances, aussi, Louis XIV, qui n'était pas homme à se faire dicter sa conduite, lui avait de-facto retiré en 1673 le droit de remontrance en lui interdisant toute remarque sur les lois.
Les parlementaires rongèrent leur frein jusqu'à la mort du Grand Roi et après 1715, ils obtinrent du Régent la restitution de leurs prérogatives.
La couronne aurait dû se méfier. A partir de 1750, ces juges s'érigèrent en contre-pouvoir et bloquèrent systématiquement en refusant l'enregistrement toutes les tentatives de réforme des ministres de Louis XV, y compris celles qui visaient à mettre fin aux privilèges fiscaux (dont, en tant que nobles, ils profitaient largement). Exaspéré, le roi désigna en 1768 comme Garde des sceaux, chancelier de France, René Nicolas de Maupeou, avec comme mission de neutraliser l'opposition parlementaire.
Maupeou n'y alla pas par quatre chemins, en 1771, (et aux applaudissements de Voltaire), il remplaçait les Parlements par six Conseils supérieurs composés non plus de magistrats propriétaires de leur charge, mais de juges inamovibles nommés par le roi et rémunérés par l'Etat. Autant dire qu'il ne se faisait pas que des amis et que les magistrats évincés firent grand bruit, se présentant comme les victimes du despotisme et les défenseurs de la liberté.
Malheureusement, Louis XV mourut en mai 1774, laissant le trône à son petit-fils âgé de 20 ans,  inexpérimenté et influençable, Louis XVI. Ce dernier n'aimait pas le chancelier de Maupeou, il le trouvait arrogant et autoritaire. Des conseillers intéressés l'incitèrent à revenir sur la réforme de 1771 et à rappeler les anciens Parlements, ce qu'il fit. Dès lors, les juges reprirent leur tactique de harcèlement du pouvoir, provoquant la démission des ministres et sapant méthodiquement les bases du pouvoir monarchique en l'empêchant de se réformer. Jusqu'au jour où il n'y eut plus pour issue à la crise qui minait les finances du royaume que le recours aux Etats-généraux. On connaît la suite.
Comme il y a parfois une morale en histoire, la Révolution ne servit pas ceux qui l'avaient (bien plus que les philosophes ou, à plus forte raison, le peuple) provoquée en défendant leurs intérêts de corps tout en prétendant servir le bien public. En 1790, l'Assemblée constituante supprima purement et simplement les Parlements, remplacés par des juges élus payés par l'Etat et dans les années 1793-94, nombreux furent les ex-parlementaires à monter à l'échafaud parce qu'ils étaient nobles.
Qui sème le vent récolte la tempête, dit la sagesse populaire. Souhaitons que l'histoire ne se répète pas trop.