dimanche 14 avril 2013

L'ascenseur social.




Singulière information dans la presse du 12 avril :"les internats d'excellence ont vécu".
De quoi s'agissait-il ?  D'une mesure imaginée en 2008 par le Ministère de l'Education nationale et qui visait à offrir des conditions favorables d'étude et de réussite à des collégiens et lycéens, issus de milieux défavorisés et dont les résultats scolaires étaient encourageants… Ce qu'on appelait avant le politiquement correct de "bons élèves".
En 2009, le premier "internat d'excellence" avait été ouvert à Sourdun, dans l'académie de Créteil, dans les locaux d'une ancienne caserne de cavalerie. Douze autres avaient été créés en 2010, puis neuf en 2011, soit 21 en tout. Le plan de 2008 envisageait à terme la scolarisation dans ces conditions de 20 000 jeunes, garçons et filles. En juillet 2012, le taux de réussite au baccalauréat des pensionnaires de Sourdun avait été de 80%, la norme jadis souhaitée par M. Chevènement.
On imagine aisément le profil type de l'élève de l'internat d'excellence : un enfant venu des banlieues, famille monoparentale ou en situation de précarité, milieu familial de faible niveau culturel, parfois d'origine étrangère, et n'étant en aucun cas en mesure de soutenir la fille ou le garçon dans son parcours scolaire. On imagine également le climat du collège local auquel la carte scolaire enchaînait l'élève : établissement de ZEP avec tout ce que dissimule ce sigle de désordre, de violence, de difficulté à travailler et à progresser. On devine le bonheur qu'a dû représenter pour ces quelques milliers d'adolescents (4713 à la rentrée 2012) : l'inscription dans les internats, la découverte soudaine de conditions de vie et de travail inespérées qui leur offraient pour la première fois la perspective de pouvoir "s'en sortir".
C'est tout cela qui disparaît suite à la déclaration lapidaire du directeur de l'enseignement scolaire du Ministère : "Les internats d'excellence auront été une étape dans l'histoire de la relance des internats, réponse coûteuse et partielle et à ce double titre, ils doivent rentrer dans le rang."
Retenons les arguments : mesure coûteuse ? L'était-elle plus que le recrutement de 60 000 enseignants supplémentaires ? Mesure partielle, rentrer dans le rang ? Il y a évidemment un côté discriminatoire à écrémer les couches populaires de leurs éléments prometteurs mais en dehors de l'aide qu'on leur apporte, n'est-ce pas aussi à terme un profit pour la nation et n'est-ce pas conforme à ce que souhaitaient, il y a cent trente ans, les fondateurs de l'école publique ? N'est-ce pas cela qu'on nommait naguère "l'ascenseur social", dont on nous dit qu'il est aujourd'hui en panne ?

Il y a quand même un étrange paradoxe à voir la gauche de gouvernement s'ingénier à détraquer chaque fois qu'elle en a l'occasion le mécanisme du fameux ascenseur.
Il existait autrefois, sinon des internats d'excellence, du moins une filière qui n'était pas sans leur ressembler : les Ecoles normales primaires départementales, chargées de former instituteurs et institutrices publics. Recrutant sur concours, elles drainaient les bons élèves issus des milieux populaires, leur permettant d'atteindre un niveau d'étude ouvrant à la haute culture. Certains – les meilleurs – se voyaient même attribuer volontiers des bourses qui les conduisaient en classes préparatoires et d'aucuns intégraient une Ecole Normale Supérieure. En 1989, sous le gouvernement de Michel Rocard, le ministre Lionel Jospin a jugé bon de les supprimer pour les remplacer par les calamiteux IUFM. Fin de la filière.
Aujourd'hui, c'est sous un gouvernement socialiste que le ministre Vincent Peillon supprime les internats d'excellence sous prétexte qu'ils coûtent trop chers. Nouvelle fin de filière…
 C'est à n'y rien comprendre. On n'ose pas croire que c'est au nom de quelque idéologie égalitaire qui reviendrait à tout niveler car le compte n'y est pas. Pendant la Révolution française, une chanson de sans-culotte clamait : " Il faut raccourcir les géants / Et rendre les petits plus grands / Tous à la même hauteur ! / Voilà le vrai bonheur !". Dans le cas qui nous intéresse, on ne prend vraiment pas le chemin de rendre les petits plus grands. Bien au contraire, on les renvoie d'où ils viennent. Les élèves qui voulaient travailler, qui prenaient à cœur leur scolarité vont retrouver le collège où ils se feront traiter de bouffons et ils ne risqueront certes pas d'accéder à une prépa, ni même sans doute à l'Université. Ainsi, ils ne viendront pas troubler la quiétude des enfants de cadres supérieurs ou d'enseignants qui n'ont pas besoin qu'on les prenne en charge et qui continueront tranquillement à peupler les grandes écoles, puis les cabinets ministériels et l'appareil des partis politiques, en particulier de gauche.
Alors ? Etrange conjoncture, mais n'aurions-nous pas oublié un paramètre dans cette tentative de comprendre l'indéchiffrable ?
La création des internats d'excellence était une idée du quinquennat Sarkozy. Que n'y avions-nous pas pensé !
Tout s'explique dorénavant : "Vade retro, Satanas!".

samedi 6 avril 2013

Avis de tempête.




Dans le précédent billet, nous regrettions le harcèlement judiciaire auquel se livrent certains magistrats, plus animés, semble-t-il, par l'esprit partisan, sinon la volonté de nuire, que par une sereine quête de la vérité. Nous insistions sur le risque d'affaiblir les institutions que ces pratiques impliquent et nous prenions l'exemple historique des Parlements de l'Ancien Régime, qui sapèrent la monarchie en entravant systématiquement ses tentatives de réforme.
L'actualité nous a soudain rattrapés, révélant des manquements dont les dimensions réduisent la plupart des "affaires" en cours au rang de simples péripéties. On apprenait coup sur coup que l'un des plus importants ministres, chargé de réprimer la fraude fiscale, était lui-même un fraudeur qui blanchissait de l'argent en Suisse et à Singapour (imaginons le Préfet de police convaincu d'être un gros trafiquant de drogue), puis, dans la lancée, que le trésorier de campagne du candidat qui affirmait que "son seul ennemi, c'est la finance" se révélait être l'un de ces affairistes interlopes qui brassent des millions venus dont ne sait d'où dans des paradis fiscaux exotiques… Les jours suivants, des organes de presse mettaient à jour les réseaux organisés d'évasion fiscale à grande échelle, citant nommément d'importants établissements bancaires et affirmant détenir des listes de noms comportant nombre de personnalités politiques, de droite comme de gauche. Cette fois, il n'était plus permis de reprocher à quelques juges de manier inconsidérément le fouet quand on voyait la République elle-même couper les verges pour se faire flageller.
La République ? Peut-être est-ce vite dit, ce sont en fait ses gestionnaires qui sont en cause; cette classe politique dont nous disions, naguère et ici même, qu'elle était de plus en plus déconnectée des citoyens. De Dominique Strauss-Kahn, qui se considère affranchi des règles de la morale commune, à Jérôme Cahuzac, traqueur des fraudeurs et fraudeur lui-même, l'image se précise de gens de pouvoir que, précisément, le pouvoir a enivrés au point qu'ils en sont arrivés à vivre dans un monde parallèle.
N'empêche que le choc est colossal. Ce ne sont pas seulement des individus qui se trouvent mis en cause, mais le fonctionnement même des institutions et par là même, les fondements de la République. Nombreux sont ceux à parler de crise de régime et il faut remonter très loin, peut-être jusqu'au scandale de Panama de 1892, où il s'avéra que nombre de parlementaires, tant députés que sénateurs, avaient été corrompus et où un ministre finit condamné à cinq ans de prison, pour découvrir un équivalent.

Que peut faire le gouvernement, face à cette tempête qui finit d'emporter ce qui reste de crédit à l'autorité de l'exécutif ? Avant l'affaire Cahuzac, l'indice de confiance du président Hollande atteignait 27%, le taux le plus bas enregistré au bout de onze mois de mandat. A quel niveau va-t-il se retrouver maintenant ? Au dessous de 25%, le degré de défiance est tel que l'autorité nécessaire pour gouverner réellement commence à faire défaut. En accordant foi aux dénégations de Cahuzac, le président et le premier ministre ont donné l'impression, ou d'être des naïfs, ou pire, de dissimuler une vérité qu'ils connaissaient. Pris dans la nasse, le pouvoir ne semble voir d'échappatoire que dans des bricolages improvisés. Réduire l'événement à un cas personnel ? La menace de nouvelles révélations rend l'exercice dangereux et peut conduire au soupçon généralisé. Proposer un référendum sur la moralisation de la vie politique comme certains le suggèrent ? C'est prendre le risque insensé d'un désaveu public, l'électeur répondant plus à qui pose la question qu'à la question elle-même. Remanier le gouvernement ? Les gens n'y verront que rafistolage sauf…
Sauf s'il ne s'agit pas d'un simple remaniement, mais d'une profonde rupture.

Après un an d'alternance, il est devenu évident que devant les problèmes que rencontre le pays, il n'y a pas plus de réponse de gauche qu'il n'existe de réponse de droite. Face au mur des questions incontournables qui ne laissent pratiquement aucune marge de manœuvre réelle, la politique suivie ne peut que s'inscrire dans une continuité. On fait pareil avec d'autres gens et d'autres mots. Le PS en 2010 claironnait que, revenu au pouvoir, il ramènerait l'âge de la retraite à 60 ans : il vient de le porter de-facto à 65, sinon 67 si l'on veut un taux plein (ce à quoi tout le monde aspire). Le "pacte de compétitivité" établi en janvier aurait pu être souscrit par le précédent gouvernement. Le changement promis en 2012 n'est en réalité qu'un changement de personnes.
Alors, plutôt qu'à poursuivre un jeu stérile, les partis de gouvernement, qui ne font ni prestidigitation, ni démagogie éhontée, devraient unir leurs efforts. Il en va de l'avenir de la démocratie représentative car la menace se précise et le sentiment commun d'écoeurement pourrait brusquement la concrétiser. A gauche, un ambitieux démagogue pétri de frustrations appelle quasiment à l'insurrection dans la rue. A droite, d'aucuns rêvent à voix haute d'un "mai 68" à l'envers qui prendrait appui sur le succès inattendu des manifestations s'opposant au "mariage pour tous". Les uns comme les autres en appellent au rejet des "élites" et véhiculent un profond anti-parlementarisme. Un parti ouvertement nationaliste et anti-européen, longtemps marginal, est en train de s'imposer comme une formation capable de rivaliser au plan électoral avec les partis traditionnels de gouvernement. Faire semblant de ne pas voir ces périls est suicidaire.
Sans attendre des échéances électorales qui risquent de toute façon d'être pour le PS désastreuses, le président Hollande devrait monter clairement que loin d'être le chef d'une faction, il est le président du peuple français et, renonçant à l'uniformité socialiste de son gouvernement, engager une courageuse ouverture sur le thème de la défense de la République. Cela impliquerait sans doute pour lui une sorte de retrait, l'abandon d'une part de ces prérogatives quasi-régaliennes que le quinquennat lui a attribuées et le retour à un rôle plus déterminant accordé au premier ministre (ce qu'on a connu naguère avec les cohabitations). Une personnalité nommée à Matignon, caractérisée par sa compétence, sa probité, son refus du sectarisme et susceptible d'être acceptée par les divers courants (on peut penser par exemple à Pascal Lamy) ouvrirait la possibilité d'une coalition d'union nationale, où pourraient se retrouver associés socialistes lucides, centristes et, pourquoi pas, la partie de l'UMP qui s'est naguère reconnue derrière François Fillon.
Pour quelle politique ? Mais simplement celle dans laquelle s'engageait le gouvernement Ayrault au moment du déferlement de l'ouragan Cahuzac et à laquelle, sorties des habituelles postures partisanes, les formations sus-nommées n'aurait aucune raison de ne pas se rallier.
Evidemment, on dira qu'il s'agit de rêve, de politique-fiction, mais prenons garde, regardons autour de nous, l'Italie en perdition, la Hongrie, la Grèce, la Flandre belge où montent de redoutables forces populistes, sinon néo-fascistes. Il est peut-être temps que les démocrates, qu'ils soient de gauche, du centre, de droite serrent les rangs. Nous ne sommes pas en 1934, mais nous nous en rapprochons dangereusement.