Dans le précédent billet, nous regrettions le
harcèlement judiciaire auquel se livrent certains magistrats, plus animés,
semble-t-il, par l'esprit partisan, sinon la volonté de nuire, que par une
sereine quête de la vérité. Nous insistions sur le risque d'affaiblir les
institutions que ces pratiques impliquent et nous prenions l'exemple historique
des Parlements de l'Ancien Régime, qui sapèrent la monarchie en entravant
systématiquement ses tentatives de réforme.
L'actualité nous a soudain rattrapés, révélant des
manquements dont les dimensions réduisent la plupart des "affaires"
en cours au rang de simples péripéties. On apprenait coup sur coup que l'un des
plus importants ministres, chargé de réprimer la fraude fiscale, était lui-même
un fraudeur qui blanchissait de l'argent en Suisse et à Singapour (imaginons le
Préfet de police convaincu d'être un gros trafiquant de drogue), puis, dans la
lancée, que le trésorier de campagne du candidat qui affirmait que "son seul ennemi, c'est la finance"
se révélait être l'un de ces affairistes interlopes qui brassent des millions
venus dont ne sait d'où dans des paradis fiscaux exotiques… Les jours suivants,
des organes de presse mettaient à jour les réseaux organisés d'évasion fiscale
à grande échelle, citant nommément d'importants établissements bancaires et
affirmant détenir des listes de noms comportant nombre de personnalités
politiques, de droite comme de gauche. Cette fois, il n'était plus permis de
reprocher à quelques juges de manier inconsidérément le fouet quand on voyait
la République elle-même couper les verges pour se faire flageller.
La République ? Peut-être est-ce vite dit, ce sont en
fait ses gestionnaires qui sont en cause; cette classe politique dont nous
disions, naguère et ici même, qu'elle était de plus en plus déconnectée des
citoyens. De Dominique Strauss-Kahn, qui se considère affranchi des règles de
la morale commune, à Jérôme Cahuzac, traqueur des fraudeurs et fraudeur
lui-même, l'image se précise de gens de pouvoir que, précisément, le pouvoir a
enivrés au point qu'ils en sont arrivés à vivre dans un monde parallèle.
N'empêche que le choc est colossal. Ce ne sont pas
seulement des individus qui se trouvent mis en cause, mais le fonctionnement
même des institutions et par là même, les fondements de la République. Nombreux
sont ceux à parler de crise de régime et il faut remonter très loin, peut-être
jusqu'au scandale de Panama de 1892, où il s'avéra que nombre de
parlementaires, tant députés que sénateurs, avaient été corrompus et où un
ministre finit condamné à cinq ans de prison, pour découvrir un équivalent.
Que peut faire le gouvernement, face à cette tempête
qui finit d'emporter ce qui reste de crédit à l'autorité de l'exécutif ? Avant
l'affaire Cahuzac, l'indice de confiance du président Hollande atteignait 27%,
le taux le plus bas enregistré au bout de onze mois de mandat. A quel niveau
va-t-il se retrouver maintenant ? Au dessous de 25%, le degré de défiance est
tel que l'autorité nécessaire pour gouverner réellement commence à faire défaut.
En accordant foi aux dénégations de Cahuzac, le président et le premier
ministre ont donné l'impression, ou d'être des naïfs, ou pire, de dissimuler
une vérité qu'ils connaissaient. Pris dans la nasse, le pouvoir ne semble voir
d'échappatoire que dans des bricolages improvisés. Réduire l'événement à un cas
personnel ? La menace de nouvelles révélations rend l'exercice dangereux et
peut conduire au soupçon généralisé. Proposer un référendum sur la moralisation
de la vie politique comme certains le suggèrent ? C'est prendre le risque
insensé d'un désaveu public, l'électeur répondant plus à qui pose la question
qu'à la question elle-même. Remanier le gouvernement ? Les gens n'y verront que
rafistolage sauf…
Sauf s'il ne s'agit pas d'un simple remaniement, mais
d'une profonde rupture.
Après un an d'alternance, il est devenu évident que devant
les problèmes que rencontre le pays, il n'y a pas plus de réponse de gauche
qu'il n'existe de réponse de droite. Face au mur des questions incontournables
qui ne laissent pratiquement aucune marge de manœuvre réelle, la politique
suivie ne peut que s'inscrire dans une continuité. On fait pareil avec d'autres
gens et d'autres mots. Le PS en 2010 claironnait que, revenu au pouvoir, il
ramènerait l'âge de la retraite à 60 ans : il vient de le porter de-facto à 65, sinon 67 si l'on veut un
taux plein (ce à quoi tout le monde aspire). Le "pacte de
compétitivité" établi en janvier aurait pu être souscrit par le précédent
gouvernement. Le changement promis en 2012 n'est en réalité qu'un changement de
personnes.
Alors, plutôt qu'à poursuivre un jeu stérile, les
partis de gouvernement, qui ne font ni prestidigitation, ni démagogie éhontée,
devraient unir leurs efforts. Il en va de l'avenir de la démocratie
représentative car la menace se précise et le sentiment commun d'écoeurement
pourrait brusquement la concrétiser. A gauche, un ambitieux démagogue pétri de
frustrations appelle quasiment à l'insurrection dans la rue. A droite, d'aucuns
rêvent à voix haute d'un "mai 68" à l'envers qui prendrait appui sur
le succès inattendu des manifestations s'opposant au "mariage pour
tous". Les uns comme les autres en appellent au rejet des
"élites" et véhiculent un profond anti-parlementarisme. Un parti
ouvertement nationaliste et anti-européen, longtemps marginal, est en train de
s'imposer comme une formation capable de rivaliser au plan électoral avec les
partis traditionnels de gouvernement. Faire semblant de ne pas voir ces périls
est suicidaire.
Sans attendre des échéances électorales qui risquent de
toute façon d'être pour le PS désastreuses, le président Hollande devrait
monter clairement que loin d'être le chef d'une faction, il est le président du
peuple français et, renonçant à l'uniformité socialiste de son gouvernement,
engager une courageuse ouverture sur le thème de la défense de la République.
Cela impliquerait sans doute pour lui une sorte de retrait, l'abandon d'une part
de ces prérogatives quasi-régaliennes que le quinquennat lui a attribuées et le
retour à un rôle plus déterminant accordé au premier ministre (ce qu'on a connu
naguère avec les cohabitations). Une personnalité nommée à Matignon, caractérisée
par sa compétence, sa probité, son refus du sectarisme et susceptible d'être
acceptée par les divers courants (on peut penser par exemple à Pascal Lamy)
ouvrirait la possibilité d'une coalition d'union nationale, où pourraient se
retrouver associés socialistes lucides, centristes et, pourquoi pas, la partie
de l'UMP qui s'est naguère reconnue derrière François Fillon.
Pour quelle politique ? Mais simplement celle dans
laquelle s'engageait le gouvernement Ayrault au moment du déferlement de
l'ouragan Cahuzac et à laquelle, sorties des habituelles postures partisanes,
les formations sus-nommées n'aurait aucune raison de ne pas se rallier.
Evidemment, on dira qu'il s'agit de rêve, de
politique-fiction, mais prenons garde, regardons autour de nous, l'Italie en
perdition, la Hongrie, la Grèce, la Flandre belge où montent de redoutables
forces populistes, sinon néo-fascistes. Il est peut-être temps que les
démocrates, qu'ils soient de gauche, du centre, de droite serrent les rangs.
Nous ne sommes pas en 1934, mais nous nous en rapprochons dangereusement.
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