Il est naturel
qu'en régime représentatif (et à plus forte raison s'il est démocratique,
autrement dit fondé sur la participation de l'ensemble de la société civile),
l'opinion se divise en deux grandes familles incarnant, pour demeurer large,
l'une le mouvement, l'autre le conservatisme. C'est ainsi que sont apparues en
France dès l'époque de la Révolution française les notions de gauche et de
droite, nées de la disposition des députés dans les enceintes du temps.
Durant la plus
grande partie du XIX° siècle, la césure s'est établie en fonction du regard
porté sur l'héritage de la Révolution, libéraux contre conservateurs, républicains
contre monarchistes. Dans le dernier quart du siècle, la démocratie politique
étant fondée et sous l'influence des problèmes sociaux nés de la révolution
industrielle, la différence droite-gauche s'est imprégnée de déterminants
économiques par le biais de la critique du capitalisme libéral. Devenue
socialiste au XX° siècle, la gauche s'est progressivement définie comme
favorable à un système où une forme de propriété collective et d'économie
organisée se substituerait au libre marché et à la propriété privée des
instruments de production. Même si de profondes divergences allant jusqu'à
l'antagonisme ont opposé les tenants d'un système totalement administré (les
communistes) à ceux qui acceptaient le capitalisme sous condition d'un solide
encadrement par une politique sociale (les sociaux-démocrates), le projet d'une
société régie par d'autres règles que celle du libéralisme économique est
demeuré la constante fondamentale de la pensée de gauche durant tout le XX°
siècle, au point que la vieille différence gauche-droite a fini par s'assimiler
à l'opposition entre socialistes et libéraux.
C'est cette
disposition quasi séculaire qui s'est brusquement trouvée mise en cause par
l'enchaînement d'événements intervenus depuis 1990. L'effondrement de
l'URSS, entièrement conditionné par l'échec retentissant de son système
économique, a brutalement discrédité l'idée même de collectivisme au moment où
des normes néolibérales triomphaient au sein d'une économie rapidement
mondialisée. La gauche socialiste s'est ainsi trouvée privée d'un élément
fondamental de son projet global resté lointainement marqué, au-delà des
dilutions et des relectures, par le modèle marxien. A ce brusque collapsus se
sont joints les effets dévastateurs de la crise provoquée par les excès du
néolibéralisme et auxquels elle n'a su opposer aucune alternative crédible, ses
anciennes recettes étant devenues caduques et aucun contre-projet fiable
n'ayant été dégagé. Il ne lui est resté que la ressource de défendre les acquis
de l'état-providence mis en place dans le cadre de la grande prospérité
d'après-guerre et de plus en plus compromis par les difficultés financières et
le marasme économique surgis avec le XXI° siècle, attitude par définition
conservatrice qui a conduit à une singulière inversion des rôles. Alors que la
gauche s'était constamment identifiée à l'innovation et au progrès, c'est à
droite que sont apparus les idées neuves et la volonté de réformes propres à
sauvegarder l'essentiel tandis que la gauche s'obstinait, par tous les moyens,
à pérenniser des dispositifs obsolètes, serait-ce au prix d'un déni des
réalités.
Parvenue au
pouvoir au printemps 2012 au terme d'une campagne dont le seul vrai moteur fut
la volonté d'écarter le président Sarkozy, elle se découvre sans projet ni
programme, en charge d'une situation particulièrement difficile sur laquelle
elle n'a pas sérieusement prise. Ses précédents succès électoraux, qui lui
accordent la maîtrise des régions, la placent d'autre part dans une situation si
hégémonique qu'elle la prive de toute excuse en cas d'échec. Il se pourrait
bien qu'on assiste à la fin d'une époque.
Est-ce à dire
que l'idée même d'une alternative s'évanouirait avec le naufrage prévisible de
l'actuelle gauche de gouvernement ? Evidemment non, mais peut-être faudrait-il
penser les choses différemment.
Dès
maintenant, les vrais clivages ne sont plus entre une gauche et une droite
parlant un langage du passé pour finir par mener, avec des mots différents, des
politiques similaires, ils sont plutôt dans le choix ou le rejet d'une option
européenne impliquant à terme la subordination des états-nations historiques à
des structures fédéralisées. Et cette frontière traverse et divise les deux
familles traditionnelles.
Il se peut
aussi que la renouvellement d'une pensée innovante se fasse en direction de
l'écologie, non pas sous l'actuelle forme caricaturale qui voit les
représentants de l'écologie politique plus avides de maroquins ministériels que
de prises de position conséquentes, mais dans le sens d'une profonde refonte du
mode de civilisation qui risque de devenir une impérieuse nécessité plus le
siècle avancera.
En tout état
de cause, il semble bien que ce soit effectivement d'un autre logiciel
politique dont nous ayons besoin.