samedi 29 décembre 2012

Marx et Stirner.


 Dans les années 1840, âge effervescent des utopies sociales où les derniers feux du Romantisme viennent alimenter la contestation de l'ordre existant, qu'il soit hérité du passé ou issu des transformations nées des révolutions politiques et techniques, deux intellectuels allemands formulent presque simultanément des propositions dont nul n'imagine alors combien elles seront déterminantes pour le siècle à venir.
Le premier en date est Max Stirner, ancien étudiant de Hegel qui publie à Berlin en 1844 "L'unique et sa propriété". Le second est Karl Marx qui, assisté de son ami Friedrich Engels, fait paraître à Londres fin 1847 un "Manifeste du parti communiste"
Difficile d'imaginer deux approches plus différentes. Le livre de Stirner, écrit d'une manière qui peut paraître désordonnée, est une exaltation passionnée de l'individu dans son unicité. "Pour moi, affirme Stirner, il n'y a rien au-dessus de moi". La société n'est qu'un système de dépendance qui entrave dans ses rets l'accomplissement de l'individu. L'Homme (avec un grand H) n'existe pas, chaque être est unique et tel quel, il est souverain. Toutes les croyances, la religion, le nationalisme, l'étatisme, le libéralisme, l'humanisme ne sont que des superstitions qui s'imposent par l'autorité et contraignent à la soumission. L'autorité, voilà l'ennemie et le but à poursuivre est de rendre à l'individu la souveraineté dont il a été dépouillé. La société (dont Stirner ne nie pas l'existence) n'est qu'une association libre où chacun peut entrer ou sortir en fonction de son choix et de son intérêt du moment. Le livre de Stirner est la proclamation d'un égoïsme radical qui pose l'interdépendance des individus comme élément fondamental de leur aliénation.
Le "Manifeste" de Marx et Engels dit à peu près le contraire. Modèle de clarté et de concision, ce texte bref se veut l'esquisse d'un programme étayé d'une interprétation de l'histoire. Cette dernière est comprise comme un combat toujours recommencé où la classe des exploités affronte celle des exploiteurs. Son aboutissement doit être l'avènement d'une société sans classe solidaire, sans exploitation ni domination, où le libre épanouissement de chacun conditionne le libre développement de tous. Marx et Engels voient ce moment venu : en assumant l'ultime révolution sociale, le prolétariat ouvrier sera l'artisan de ce monde nouveau et fraternel où l'abondance des richesses créées permettra d'assurer à chacun selon ses besoins. Là où Stirner voyait un monde d'individus uniques dans leur différence, Marx conçoit une humanité qui n'existe que dans la solidarité qui unit ses membres en une vaste coopération. Le premier fait de la liberté l'expression même de l'émancipation : sa postérité sera l'anarchisme libertaire. Le second croit aux vertus de l'égalité et à la puissance de l'effort collectif : il donnera forme au socialisme.
Des deux conceptions antagonistes, c'est le socialisme marxien qui s'imposera dès la seconde moitié du XIX° siècle comme alternative au capitalisme libéral. Il marginalisera l'idéologie libertaire pour plus d'un siècle.

lundi 10 décembre 2012

La quadrature du cercle.






Il y a deux mois, nous regrettions l'inexistence de fait d'une alternative crédible de gauche  et envisagions la nécessité de changer de logiciel politique. La démarche, qui dépasse largement le simple cas de la France, implique un tel remodelage et une si profonde remise en cause qu'elle ne peut être menée à bien qu'au terme d'une véritable redéfinition de la notion de progrès, opération dont il n'est pas sûr du tout qu'elle bénéficie dans l'immédiat de l'adhésion populaire.
Issue de l'idéologie des Lumières du XVIII° siècle, l'idée de progrès, qui structure depuis plus de deux siècles la pensée de gauche, s'est inscrite simultanément au plan politique et au plan social. Dans le premier cas, elle a visé à l'institution de la démocratie, dans le second, à l'élévation du niveau de vie des couches populaires et à la réduction des inégalités. L'objectif politique a généralement été atteint (c'est le cas de la France) dès la fin du XIX° siècle, l'objectif social a été poursuivi durant tout le XX° siècle et il s'est en particulier concrétisé dans les divers projets sociaux-démocrates, de l'augmentation des salaires à la création de l'Etat-providence. Son aboutissement a été le progressif effacement des hiérarchies sociales, si évidentes au XIX° siècle qu'elles ont  sous-tendu la théorie marxienne de la lutte des classes, mais que l'amélioration de la condition des salariés a graduellement estompées jusqu'à finir par constituer cette vaste nébuleuse désignée aujourd'hui du terme vague de "classe moyenne". Cette élévation générale du niveau de vie, gérée dans le cadre d'une économie de marché, s'est aussi traduite par la mise en place des sociétés de consommation, cette dernière, comme l'affirmait Keynes, étant considérée comme le véritable moteur de la croissance économique. Pour ce qu'on nommait encore les classes populaires, le progrès s'est donc identifié à l'accession à une consommation accrue dont, au tournant du XX° siècle, la possession d'une automobile est devenu comme le symbole concret.

A regarder les choses autrement, le progrès social vu par la gauche s'est donc ainsi trouvé inséparable du productivisme, cette démarche économique visant à produire toujours plus et à développer par là même une offre constamment élargie que les mécanismes de concurrence propres à l'économie de marché rendent de moins en moins coûteuse. Ce processus a certes permis aux sociétés occidentales de dispenser au plus grand nombre le plus haut niveau de vie et la plus généreuse protection sociale de toute l'histoire humaine, mais il se heurte aujourd'hui, d'une part à l'impossibilité d'étendre ce modèle à la totalité d'une humanité qui poursuit sa croissance démographique (ce qui crée un puissant facteur d'inégalité à l'échelle planétaire), d'autre part, aux inquiétudes à l'égard de l'environnement et de l'avenir du biotope que fait courir le maintien des pratiques productives propres aux sociétés avancées.
Le nouveau logiciel d'une pensée de gauche rénovée, donc d'une vision nouvelle du progrès humain, ne passerait donc plus par la croissance toujours augmentée de la production matérielle garantissant celle d'un niveau de vie toujours plus élevé, mais par la recherche d'une meilleure insertion de l'homme dans un milieu naturel qu'il conviendrait de respecter pour assurer, en dernière analyse, la survie de l'espèce. C'est une véritable révolution !

La reconversion s'avère en effet difficile et risquée.  Après s'être fait le défenseur sans relâche du "pouvoir d'achat", la gauche réinventée devrait exalter la sobriété, concept qui serait vite assimilé en termes populaires à l'austérité, l'un de ces mots dont le seul énoncé suscite le refus, sinon la colère. L'introduction de normes écologiques ayant comme immédiat corollaire une hausse des coûts de production, donc, une augmentation des prix de vente (comme on le constate déjà pour les produits "bio"), ce sont évidemment les plus bas revenus qui seraient les premiers affectés. On peut certes imaginer maints processus de compensation, mais sauf à introduire un ensemble de contraintes qui finiraient par menacer la démocratie elle-même, il paraît inévitable que les nouvelles conditions soient ressenties en milieu populaire comme une authentique baisse du niveau de vie tant les habitudes consuméristes se sont inscrites comme signe d'une promotion sociale. Un tournant de cette ampleur exigerait des trésors de pédagogie et il n'est pas certain que celle-ci soit entendue, d'autant qu'il serait de bonne guerre pour la droite conservatrice de dénoncer une rigueur jugée excessive et de vanter les facilités de l'ancien temps. Il s'avérerait alors, pour cette dernière, séduisant (et fructueux) de présenter le nouveau discours de la gauche comme culpabilisant et pénalisant. L'inversion des rôles deviendrait dès lors totale, le conservatisme attirant l'adhésion populaire dans sa défense de l'individualisme consumériste et hédoniste quand la volonté de réorienter l'idée de progrès humain dans le sens de la sobriété et de la solidarité prendrait les couleurs de l'abstinence et du renoncement. Les conséquences politiques seraient considérables.
Etrange dilemme ! Ayant dans l'ensemble atteint les objectifs qu'elle s'était fixée depuis ses origines, au XVIII° siècle, la pensée de gauche découvre que son projet était inséparable d'un productivisme qui révèle aujourd'hui, non seulement ses limites, mais de réels dangers qui vont jusqu'à menacer à terme l'avenir même de l'humanité. Réviser ces prémisses et, comme nous le suggérons, changer le logiciel reviennent en conséquence à repenser ce que peut être aujourd'hui ce souci du progrès humain qui a toujours été l'élément fondamental des idéologies de gauche.
Mais comment le faire accepter des couches populaires qui ont de tout temps représenté, tant l'objet de ses attentions que son socle politique, alors que la mise en place d'une autre façon de vivre a toutes les chances de n'être perçue dans ces mêmes milieux que comme une régression ?
Cela fait penser au vieux problème de la quadrature du cercle.

jeudi 6 décembre 2012

L'isolement de la classe politique



En novembre 2008, le congrès du PS à Reims donne l'image d'une foire d'empoigne et c'est au prix d'une manipulation à peine dissimulée des suffrages que Martine Aubry arrache le secrétariat et écarte Ségolène Royal, que son honorable défaite à l'élection présidentielle de 2007 semblait tout naturellement désigner pour diriger le parti.
Quatre ans plus tard, en novembre 2012, l'élection d'un président de l'UMP se transforme en bataille de chiffonniers entre J-F. Copé et F. Fillon, où tous les coups paraissent permis et où  la fraude à grande échelle vide de tout sens le vote des militants. Moins bien armé d'un appareil dirigeant que ne l'est le PS, l'UMP fait naufrage.
Dans un cas comme dans l'autre, l'âpreté du combat s'est limitée à l'espace restreint de ce qu'on nomme la "classe politique", la société civile (autrement dit la masse des électeurs) assistant éberluée à ces échauffourées et oscillant, selon ses convictions, entre exaspération, indifférence ou amusement. On avait parfois l'impression étrange d'être au théâtre et rien mieux que cette prise de distance ne souligne la frontière qui semble s'être établie entre l'ensemble des citoyens et les hommes et les femmes qui, selon les règles de la démocratie représentative, sont censées être mandatés par eux pour conduire l'Etat.. Devenue une sorte de monde à part, la "classe politique" obéit à ses propres règles et se comporte en société autonome..

mercredi 7 novembre 2012

Le temps du virage.



Il a suffi de quatre semaines, en 1956, pour que le gouvernement socialiste vire de bord et entreprenne – hélas ! – la politique prônée par ses adversaires de droite. Il allait ainsi engager la France dans le bourbier algérien, dont De Gaulle peinerait à l'extraire six ans plus tard.
Il a fallu un an et demi pour que François Mitterrand, élu en 1981 sur la promesse d'une "rupture avec le capitalisme", réoriente son action au point de devenir l'introducteur du libéralisme et le président des privatisations.
Lionel Jospin, premier ministre de cohabitation, a mis trois ans pour imposer en 2000 à un Jacques Chirac réticent le dispositif constitutionnel accordant à la présidence le pouvoir le plus étendu dont l'exécutif n'ait jamais disposé, en France, depuis que nous sommes en régime républicain.
L'Histoire se répétant avec une lassante monotonie, il aura suffi d'attendre six mois pour que François Hollande et Jean-Marc Ayrault entreprennent de mettre en œuvre, à l'abri d'une rhétorique confuse, la politique qu'aurait dans ses grandes lignes conduite Nicolas Sarkozy s'il avait été réélu.
Après des semaines d'atermoiements scandées de pseudo-concertations et de créations de commissions, la première étape a été l'adoption tel quel du traité européen, surnommé non sans raison "Merkozy", et dont la renégociation proclamée s'était réduite à l'ajout d'un codicille sans portée sur les termes duquel nul ne risquait d'être en désaccord.
La seconde étape a été franchie début novembre avec l'adoption d'un "pacte de compétitivité" qui ressuscite sous un autre nom cette augmentation de la TVA que les socialistes en campagne dénonçaient avec la plus grande vigueur et juraient de faire disparaître.
La troisième et prochaine étape sera vraisemblablement la résurgence de la révision générale des politiques publiques, avec la quête d'économies drastiques et l'inévitable cure d'amaigrissement de la fonction publique. On peut d'avance faire confiance aux technocrates de l'Elysée pour trouver à ces mesures la dénomination adéquate permettant de faire croire qu'il s'agit du contraire de ce qu'on fait vraiment et qu'ainsi, on demeure fidèle à ses engagements de campagne.
A quoi tiennent ces récurrences ? Quelle sorte de fatalité semble poursuivre en France la gauche de gouvernement pour que, régulièrement, elle mène, parvenue au pouvoir, une politique en pleine contradiction avec les espoirs qu'elle avait suscités ? Peut-être ne faut-il pas chercher trop loin et constater simplement que depuis fort longtemps, cette famille de pensée n'a plus rien de vraiment tangible à proposer. Paralysée par une longue confrontation avec un parti communiste qui lui confisquait une grande partie de l'électorat populaire, elle a manqué la grande réorientation social-démocrate du milieu de XX° siècle et elle n'a tenté de s'y rallier qu'au moment où, précisément, la social-démocratie avait atteint ses limites. Qu'a-t-elle à offrir dans ces conditions que des rappels au passé ou des objectifs d'un autre temps ? Se référer inlassablement au programme du Conseil national de la Résistance, vieux de soixante-dix ans, est-il vraiment crédible en 2012 ? Face à un centre-droit plus inventif et pragmatique, il ne lui reste plus, dès qu'elle se trouve confrontée aux réalités, qu'à s'aligner tout en affirmant haut et fort qu'il n'en est rien.
Cet état de fait est préoccupant. Toute démocratie a besoin d'alternances qui soient des alternatives. Ce vide ainsi creusé crée un appel d'air favorable aux populismes. De part et d'autre, les deux Fronts sont en embuscade. Celui de gauche, ressassant inlassablement un discours idéologique mille fois entendu et qui n'a rien retenu des drames du siècle dernier, n'offre guère qu'un risque de type électoral. Celui de droite, en revanche, peut être redoutable. Son langage peut sembler nouveau et nul ne l'a encore entendu, sinon des octogénaires qui n'étaient que des enfants quand cette rhétorique triomphait.
A trop décevoir ce qu'on désignait naguère comme "la France d'en bas", une gauche de gouvernement sans boussole peut préparer de sombres lendemains.

dimanche 28 octobre 2012

Et si l'on changeait de logiciel politique ?




Il est naturel qu'en régime représentatif (et à plus forte raison s'il est démocratique, autrement dit fondé sur la participation de l'ensemble de la société civile), l'opinion se divise en deux grandes familles incarnant, pour demeurer large, l'une le mouvement, l'autre le conservatisme. C'est ainsi que sont apparues en France dès l'époque de la Révolution française les notions de gauche et de droite, nées de la disposition des députés dans les enceintes du temps.
Durant la plus grande partie du XIX° siècle, la césure s'est établie en fonction du regard porté sur l'héritage de la Révolution, libéraux contre conservateurs, républicains contre monarchistes. Dans le dernier quart du siècle, la démocratie politique étant fondée et sous l'influence des problèmes sociaux nés de la révolution industrielle, la différence droite-gauche s'est imprégnée de déterminants économiques par le biais de la critique du capitalisme libéral. Devenue socialiste au XX° siècle, la gauche s'est progressivement définie comme favorable à un système où une forme de propriété collective et d'économie organisée se substituerait au libre marché et à la propriété privée des instruments de production. Même si de profondes divergences allant jusqu'à l'antagonisme ont opposé les tenants d'un système totalement administré (les communistes) à ceux qui acceptaient le capitalisme sous condition d'un solide encadrement par une politique sociale (les sociaux-démocrates), le projet d'une société régie par d'autres règles que celle du libéralisme économique est demeuré la constante fondamentale de la pensée de gauche durant tout le XX° siècle, au point que la vieille différence gauche-droite a fini par s'assimiler à l'opposition entre socialistes et libéraux.
C'est cette disposition quasi séculaire qui s'est brusquement trouvée mise en cause par l'enchaînement d'événements intervenus depuis 1990. L'effondrement de l'URSS, entièrement conditionné par l'échec retentissant de son système économique, a brutalement discrédité l'idée même de collectivisme au moment où des normes néolibérales triomphaient au sein d'une économie rapidement mondialisée. La gauche socialiste s'est ainsi trouvée privée d'un élément fondamental de son projet global resté lointainement marqué, au-delà des dilutions et des relectures, par le modèle marxien. A ce brusque collapsus se sont joints les effets dévastateurs de la crise provoquée par les excès du néolibéralisme et auxquels elle n'a su opposer aucune alternative crédible, ses anciennes recettes étant devenues caduques et aucun contre-projet fiable n'ayant été dégagé. Il ne lui est resté que la ressource de défendre les acquis de l'état-providence mis en place dans le cadre de la grande prospérité d'après-guerre et de plus en plus compromis par les difficultés financières et le marasme économique surgis avec le XXI° siècle, attitude par définition conservatrice qui a conduit à une singulière inversion des rôles. Alors que la gauche s'était constamment identifiée à l'innovation et au progrès, c'est à droite que sont apparus les idées neuves et la volonté de réformes propres à sauvegarder l'essentiel tandis que la gauche s'obstinait, par tous les moyens, à pérenniser des dispositifs obsolètes, serait-ce au prix d'un déni des réalités.
Parvenue au pouvoir au printemps 2012 au terme d'une campagne dont le seul vrai moteur fut la volonté d'écarter le président Sarkozy, elle se découvre sans projet ni programme, en charge d'une situation particulièrement difficile sur laquelle elle n'a pas sérieusement prise. Ses précédents succès électoraux, qui lui accordent la maîtrise des régions, la placent d'autre part dans une situation si hégémonique qu'elle la prive de toute excuse en cas d'échec. Il se pourrait bien qu'on assiste à la fin d'une époque.
Est-ce à dire que l'idée même d'une alternative s'évanouirait avec le naufrage prévisible de l'actuelle gauche de gouvernement ? Evidemment non, mais peut-être faudrait-il penser les choses différemment.
Dès maintenant, les vrais clivages ne sont plus entre une gauche et une droite parlant un langage du passé pour finir par mener, avec des mots différents, des politiques similaires, ils sont plutôt dans le choix ou le rejet d'une option européenne impliquant à terme la subordination des états-nations historiques à des structures fédéralisées. Et cette frontière traverse et divise les deux familles traditionnelles.
Il se peut aussi que la renouvellement d'une pensée innovante se fasse en direction de l'écologie, non pas sous l'actuelle forme caricaturale qui voit les représentants de l'écologie politique plus avides de maroquins ministériels que de prises de position conséquentes, mais dans le sens d'une profonde refonte du mode de civilisation qui risque de devenir une impérieuse nécessité plus le siècle avancera.
En tout état de cause, il semble bien que ce soit effectivement d'un autre logiciel politique dont nous ayons besoin.

jeudi 25 octobre 2012

Y aurait-il une erreur de casting ?




Le reproche qu'on pourrait adresser au président Hollande et à son premier ministre ne serait-il pas de se tromper de république ? Régime présidentiel gaullien devenu sous Mitterrand monarchie élective, la V° République s'est transformée, suite à la réforme Jospin de 2000, en hyperprésidence assurant pour cinq ans la toute-puissance de l'exécutif. Peut-il en effet en être autrement dans un système où le Président quinquennal, issu du suffrage universel, bénéficie du soutien d'une Chambre élue dans la lancée elle aussi pour cinq ans et qui lui sera à coup sûr acquise ? Plus que jamais, le pouvoir est à l'Elysée, le Premier ministre se trouvant réduit à n'être plus qu'une sorte de super-chef de cabinet. L'étrange reste que ce dispositif, qui investit le Président d'un pouvoir qu'aucun chef d'Etat français n'a connu depuis le Second Empire, ait été conçu et mis en place par un gouvernement de gauche. Il demeure là comme  une énigme…
Cela dit, il paraît évident qu'un tel type de gouvernement appelle un certain profil d'homme d'état qui conjugue autorité, rapidité de décision, détermination et pragmatisme. Nicolas Sarkozy s'y est essayé, de façon souvent trop précipitée et quelque peu brouillonne, mais non sans résultat dans des circonstances complexes. François Hollande, qui s'est posé comme prenant le contre-pied absolu de son prédécesseur, semble en revanche assez souvent à contre-emploi. Homme de négociation et de compromis qui s'est montré capable de maintenir l'unité d'un PS déchiré par les rivalités internes, il paraît moins à l'aise dans cette position de chef suprême qui a nécessairement le dernier mot. Sans véritable expérience de gouvernement et brusquement projeté au sommet du pouvoir, il temporise, biaise, crée des commissions et ouvrent des concertations qui permettent surtout aux divers lobbies de se déployer et dont les résultats sont parfois peu convaincants, comme on vient de le constater suite aux discussions avec les syndicats médicaux à propos des dépassements d'honoraires. Le Président (comme le Premier ministre) semble avoir du mal à décider lui-même et à trancher.
Peut-être cette carence est-elle la conséquence directe du mode de désignation du candidat mis en œuvre en 2011  par le PS : la primaire. Ce genre de procédure conduit presque nécessairement à promouvoir la personnalité qui fait consensus, celle en qui les divers courants se reconnaissent, soit (pour parler plus cruellement) celle qui dérange le moins. François Hollande répondait assez exactement à ce portrait, celui d'un parfait Président du Conseil de la IV° République !
Evidemment, on constatera que ce profil est sans doute le moins adapté aux exigences de l'hyperprésidence et des temps difficiles que nous traversons. Il est remarquable qu'en à peine plus de six mois, la personnalité qui émerge d'un ministère pléthorique et dont la popularité ne cesse de croître alors que celle du Président s'affaisse est le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, dont la résolution, la présence, l'autorité répondent à l'attente de l'opinion et projettent dans l'inconscient collectif l'image de ce que devrait être le chef de l'Etat dans le quinquennat tel qu'il existe.
Evidemment, une solution serait de revenir sur ce mécanisme de l'hyperprésidence, mais peut-on y croire quand on sait que Lionel Jospin, père de ce système, préside précisément la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique…

Octobre 2012

lundi 22 octobre 2012

Et si les Français étaient bonapartistes ?



Si l'on convient que la Révolution française a bien été l'acte fondateur de la France moderne, force est de constater qu'il ne s'est produit de travail constructif et durable qu'aux deux extrémités de cette tumultueuse séquence de quinze années, soit les premiers temps de l'Assemblée Constituante (1789-1791), puis la période de la république consulaire instituée par Bonaparte après le coup d'état du 18 Brumaire (1800-1804). Entre les deux, il n'y a guère eu que luttes de factions et guerre permanente, civile et étrangère.
Si l'on considère parallèlement que l'histoire du XIX° siècle en France n'a été qu'un long remake des années révolutionnaires, comme si la société cherchait au-delà de la crise fondatrice à définir le meilleur type de gouvernement soldant la grande rupture de 1789, un curieux constat s'impose plus de deux siècles après l'événement.
A partir de 1815, la France expérimente successivement un retour à la monarchie censitaire, d'abord mêlée de nostalgie d'Ancien Régime avant de s'aligner, après 1830, sur le modèle anglais. Puis, la révolution de 1848 ayant ranimé les souvenirs de 1792, une république monocamériste s'esquisse, que ses contradictions et l'absence d'un vrai soutien populaire conduisent en peu de temps à ressusciter l'option bonapartiste jusqu'à restaurer un second Empire. Celui-ci succombant comme le premier aux excès de sa politique étrangère, un régime proprement parlementaire, fortement dominé par le pouvoir législatif s'instaure après 1875. Durant plus de trois-quarts de siècle, sous la forme des III° et IV° Républiques (l'intermède de Vichy apparaissant purement circonstanciel), il donne un moment l'impression d'être définitif jusqu'à ce que ses carences, déjà sensibles en 1940 et devenues éclatantes face à la décolonisation, entraînent sa chute en 1958.
Que voit-on alors ressurgir porté par la haute figure du général de Gaulle ? Un dispositif qui rappelle fortement les conceptions bonapartistes, un exécutif fort et personnalisé dont la réforme constitutionnelle de 1962 instituant l'élection du Président au suffrage universel accentue l'aspect plébiscitaire. Si l'on cherche des référents à la V° République, c'est à coup sûr vers le premier Consulat ou l'ultime métamorphose parlementaire du régime de Napoléon III qu'on les trouve.
Ce qui est plus surprenant, c'est l'adhésion majoritaire de l'opinion et le ralliement progressif de la classe politique qui fait que ce régime, aujourd'hui biséculaire, n'est pas sérieusement remis en cause. Mieux, il n'a cessé d'être renforcé par ceux-là mêmes qui l'avaient à ses débuts rejeté. François Mitterrand, auteur en 1963 d'une charge fort bien argumentée sous le titre "le coup d'état permanent", en accentue le caractère présidentiel – sinon monarchique – sitôt élu en 1981. Lionel Jospin, son fidèle lieutenant, Premier ministre en 2000 de Jacques Chirac, fait adopter par référendum le quinquennat présidentiel assorti d'une modification du calendrier électoral qui assure pour cinq ans au Président élu un pouvoir sans partage. L'hérédité en moins, c'est quasiment le retour de Napoléon III. Nicolas Sarkozy saura en tirer parti ; son successeur et opposant est en train de se couler doucement dans le moule.


Et si, sous un nom ou sous un autre, le bonapartisme était le régime préféré d'un peuple français resté, sinon royaliste, du moins fondamentalement monarchiste ?


octobre 2012

samedi 13 octobre 2012

Sur l'abstention électorale.


Au temps du suffrage censitaire, seuls les citoyens acquittant un certain quota d'imposition disposaient du droit de vote. L'Assemblée constituante de 1789, qui avait inauguré cette pratique, les nommait "citoyens actifs". Ceux que leurs faibles revenus – et donc leur condition sociale – écartaient du scrutin et qui se trouvaient réduits à n'être que les spectateurs de la vie politique étaient joliment décorés du titre de "citoyens passifs".
Ce dispositif, fort peu démocratique, tant dans son principe que dans son application, fut aboli par la révolution de février 1848, qui instaura le suffrage universel (en omettant néanmoins d'y inclure les citoyennes…). Depuis la Seconde République, tout Français majeur a donc le droit de vote (et de nos jours toute Française également, grâce au Gouvernement provisoire de 1944). Il n'existe donc plus officiellement de "citoyens passifs". 
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