mercredi 20 octobre 2021

Retour aux fondamentaux.

 

Retour aux fondamentaux.

 

La période électorale qui s'annonce va s'avérer révélatrice des profondes mutations qui affectent depuis plusieurs décennies, tant la société que le fonctionnement de la vie politique. Depuis 2017, commentateurs et politologues dissertent déjà sur la décrédibilisation des partis traditionnels, l'éclipse de la séculaire opposition droite-gauche, la disparition des structurations sociales au profit d'un individualisme généralisé, la montée des populismes, tous événements réels, mais sujets parfois d'interprétations hâtives qu'il serait peut-être nécessaire de nuancer.

Il ne fait certes aucun doute que les partis politiques tels qu'ils se sont constitués aux XIX° et XX° siècles s'étiolent. C'est particulièrement net dans l'espace de gauche. Que reste-t-il du parti communiste qui mobilisait un cinquième de l'électorat il y a moins d'un demi-siècle? N'est-il pas rejoint dans l'effacement progressif par le parti socialiste, ex-parti de gouvernement dont la candidate à l'élection de 2022 apparaît créditée de moins de 10% des suffrages? Mais la situation n'est guère plus brillante à droite, où "Les Républicains", héritiers du RPR et de la puissante UMP chiraquienne, éclatent en factions rivales et en candidatures multiples. Partis de gauche et partis de droite sombrent dans la plus grande confusion. Est-ce à dire que les notions de gauche et de droite ont perdu toute signification ou est-ce l'indice  d'un réexamen profond, quelque chose comme un retour aux sources?

 

L'histoire nous offre peut-être un début de compréhension. Quand, il y a deux siècles, les débuts d'un fonctionnement parlementaire appelèrent naturellement à la formation de groupes d'opinion, les termes alors utilisés sont particulièrement expressifs. Dans la Chambre des députés des débuts de la Monarchie de Juillet, après 1830, ce que nous qualifierions aujourd'hui de gauche prend le nom de "Mouvement" alors que la droite se désigne comme la "Résistance" Tout est déjà dit : la gauche s'identifie à l'action dans la perspective d'un progrès à conquérir quand la droite, conservatrice et méfiante, vise au maintien du statu-quo et joue un rôle de frein. C'est peut-être à ce retour aux sources que nous assistons dans la mesure où l'élection de 2022 risque fort d'opposer un volontarisme engagé dans le mouvement à un raidissement réactionnaire ancré dans le repli et le conservatisme : singulier renvoi à des conditions évoquant la préhistoire de la démocratie.

Pourquoi en est-on là? Les causes sont multiples, mais l'essentielle est sans doute ce qu'on peut nommer la désidéologisation. Dans la seconde moitié du XIX° siècle, les partis politiques se sont construits sur des bases théoriques justifiant leurs programmes et leur action. C'est surtout vrai à gauche où, précisément, la volonté de mouvement s'est orientée dans le sens du progrès social et s'est appuyée sur des élaborations idéologiques dont la plus importante fut sans contexte l'analyse de Marx. Or, le propre de toute idéologie est de constituer un cadre rigide d'interprétation peu ouvert aux approches différentes, jusqu'à plier parfois le réel dans le sens de sa grille de lecture. Le marxisme, par exemple, a posé la lutte des classes comme un moteur essentiel de l'histoire. Il est certain que ce modèle convient parfaitement à la société de la première révolution industrielle que Marx a sous les yeux mais qu'en est-il un siècle et demi plus tard? Une classe sociale n'existe qu'à travers un sentiment d'appartenance justement nommé conscience de classe : qu'en reste-il en ce premier quart du XXI° siècle? Alors que les industries ont déserté la France, que l'individualisme libertaire a fait éclater les vieilles solidarités, que le rejet de toute autorité récuse toute forme d'encadrement, où est cette classe ouvrière qui devait faire la révolution? Le déclin des partis de gauche est largement issu de cette conjoncture nouvelle et les populistes ont beau jeu de reprendre le thème de la lutte des classes en opposant le "peuple" aux "élites", ce qui ressemble plus à un antagonisme culturel qu'à un authentique combat social.

A droite, la pression idéologique était moins forte mais il y a toujours eu un courant libéral et un courant autoritaire. La radicalisation du libéralisme propre à la fin du XX° siècle et les dégâts qu'elle a causés (désindustrialisation, explosion des inégalités), l'apparition de faits nouveaux perçus comme des menaces (en particulier l'immigration) ont affaibli le modèle libéral et favorisé un discours appelant à plus d'autorité. Chose nouvelle, cette option a attiré un électorat populaire miné par un sentiment d'insécurité et déçu par une gauche aux promesses toujours reportées. La droite libérale se voir débordée par des courants et des leaders franchement réactionnaires et elle est tentée de rejoindre ceux qui promettent le mouvement.

 

C'est là une situation sans précédent dans l'histoire récente de la France. Elle témoigne de l'ampleur des bouleversements sociaux et culturels qu'impliquent la révolution du numérique et l'inquiétude face à l'avenir, accrue par la menace que représente l'inéluctable changement climatique. Comme il y a deux siècles, on se retrouve devant l'alternative entre l'immobilisme et le mouvement. Mais ce dernier, pour être efficace, ne peut plus être la mise en œuvre d'une grille idéologique, il ne peut être que pragmatisme, que pilotage à vue. On vient de le voir dans le traitement des conséquences de la crise sanitaire : qui se risquera, en 2022, à présenter (comme il y a cinq ans) le candidat Macron comme un néo-libéral au vu des mesures prises durant le quinquennat?