jeudi 23 juin 2022

Le cas Mélenchon.

 

Le cas Mélenchon.

 

Nouvelle déception pour Jean-Luc Mélenchon : il ne sera pas Premier ministre. Certes, cela n'obère en rien ses qualités réelles qui en font un politicien d'une rare habileté. Il vient de le montrer en réussissant à constituer cette alliance électorale qui lui a subordonné un moment les vieux partis de gauche, assommés par leurs résultats à la présidentielle. Il sait mieux que quiconque occuper l'espace médiatique et en tirer profit. C'est un redoutable professionnel. Pourquoi, alors, véritable Poulidor de la politique, échoue-t-il toujours in-extremis?

Peut-être parce qu'il n'a pas de véritables convictions et que son brio masque un certain opportunisme. Depuis des décennies, il n'a eu qu'un objectif : parvenir au pouvoir. Pour atteindre ce résultat, il a multiplié les tactiques. Jeune, il s'est mis dans l'ombre de François Mitterrand avec l'espoir d'être distingué et investi d'un rôle de continuateur. Cet espoir étant déçu, il a tenté tout aussi vainement de s'assurer une position éminente au Parti socialiste en soutenant la manœuvre de Laurent Fabius lors du référendum sur le projet européen de 2005. Déçu et s'inspirant alors des dissidents du SPD allemand, il a créé son propre mouvement en constituant le "parti de gauche" inscrit dans une radicalité sans concession. Les  résultats n'ont pas été probants et se sont soldés par des échecs électoraux consécutifs. C'est alors que sur la base d'un nouveau mouvement au nom révélateur, la "France insoumise", il a réussi l'opération de 2022 qui est apparu son premier vrai succès.

Mais cette union se révèle fragile tant les participants sont divisés sur des questions essentielles. Moins d'une semaine après la "victoire", des fissures apparaissent déjà. Le programme établi pour les élections législatives manque d'autre part de crédibilité même s'il est appuyé par un groupe d'économistes idéologiquement engagés. D'autres experts en soulignent les contradictions et les anachronismes. Appliquer tels quels des principes développés par Keynes il y a un siècle semble oublier que l'état du monde et des sociétés n'est plus le même. Vouloir simultanément mener une politique écologique appelant à la sobriété et fonder ses prévisions économiques sur une reprise massive de la consommation est illogique. Mettre en péril l'unité européenne au moment où il paraît le plus nécessaire de la renforcer est pour le moins inopportun. Et ne peut-on pas pressentir l'imposture quand on réclame la retraite à 60 ans dans un pays où l'espérance de vie a crû de 15 ans en un demi-siècle sans admettre l'inévitable alternative entre une baisse des pensions ou un alourdissement des charges sur les actifs (sinon les deux)? Mais que ne dirait-on pas pour séduire l'électeur crédule?

En fait, le projet de Jean-Luc Mélenchon demeure le même : accéder au pouvoir et le collapsus des partis de gauche lui en offre l'occasion. Une singularité, néanmoins, interroge : pourquoi lui-même ne s'est-il pas présenté à l'élection législative de 2022 alors qu'il était assuré de se trouver réélu? Orateur d'exception, son arme est la tribune et chef de son mouvement, il se serait fait entendre puissamment à l'Assemblée; Ce repli nous éclaire peut-être sur sa nouvelle tactique.

Depuis plus de trente ans, Jean-Luc Mélenchon a appliqué ce qu'on pourrait qualifier de "tactique Mitterrand" : s'assurer la direction d'un parti et faire patiemment le pari des urnes. Cette méthode a échoué et il s'est constamment trouvé écarté du score final. Il semble alors se ranger à ce qu'on désignerait du nom de "tactique De Gaulle". Il se retire sur l'Aventin, ce qui ne signifie pas qu'il garde le silence, demeurant le mentor de ses affidés et le commentateur critique du pouvoir en place, dont il a prophétisé qu'il conduirait "au chaos". Ce dernier, il participe à l'organiser en encourageant les mouvements protestataires, type "gilets jaunes" et en justifiant l'agitation de rue. Il espère créer ainsi une situation de crise où le désarroi de la classe politique la fait se tourner vers la seule personnalité susceptible de ramener le calme, comme se fut le cas en 1958 avec Charles de Gaulle. Mélenchon est alors appelé à devenir enfin Premier ministre (en attendant mieux). Son but est atteint.

Fort bien, mais Jean-Luc Mélenchon devrait méditer la remarque formulée autrefois par Karl Marx : l'histoire se répète mais si la première fois est une tragédie, la seconde fois est une farce.

mercredi 16 mars 2022

 

Ecarter Poutine.

 

L'impensable! Un état membre permanent du Conseil de sécurité attaque et envahit un état voisin, lui-même affilié aux Nations-unies, sur la base de prétextes fantaisistes qui dissimulent mal le rêve d'une restauration impériale! Enfermé dans une logique aberrante qu'il entend, comme il l'affirme, poursuivre jusqu'au bout, le président Vladimir Poutine s'interdit lui-même toute concession, qui apparaîtrait comme une défaite. Il rend impossible toute solution de compromis alors qu'il paraît évident que son plan initial a échoué.

Alors, comment sortir de la crise actuelle et de la guerre en Ukraine? Au point où nous en sommes, l'hypothèse la plus opportune, il faut en convenir, serait la mise à l'écart, à Moscou, de Vladimir Poutine et un changement de gouvernement. Est-ce aussi illusoire que d'aucuns veulent le dire? Ce n'est pas sûr et les Européens, en particulier, peuvent y contribuer pour éviter le pire.

 

Constatons pour commencer que l'actuel bilan de Poutine est intégralement négatif. Il voulait satelliser l'Ukraine en la réintégrant dans la sphère politique russe et il a surtout réussir à l'unir contre lui. Il prétendait affaiblir l'OTAN et il l'a pratiquement ressuscité. Il pensait diviser l'Union européenne et non seulement il l'a ressoudée comme jamais, mais il lui a fait prendre conscience de la nécessité d'organiser sa défense commune. Il rêvait de réaffirmer la grandeur d'une Russie impériale et il l'a gravement discréditée aux yeux de quasiment le monde entier. Il n'est pas, au-delà des apparences, jusqu'à l'entente avec la Chine qu'il ait compromise en créant les conditions d'une crise mondiale qui porte indirectement atteinte aux projets économiques du gouvernement chinois et gêne ses entreprises diplomatiques. Il en faudrait moins pour s'interroger sur le bien fondé de sa politique et peut-être envisager, quand il en est encore temps, une réorientation radicale!

Car l'avenir se présente sous des conjonctures des plus sombres. L'armée russe s'enlise en Ukraine et ses difficultés révèlent des faiblesses inattendues. Les sanctions économiques et financières frappant la Russie vont gravement impacter la vie quotidienne et – nécessairement – engendrer du mécontentement. Poutine croit y répondre en interdisant toute information non officielle et en menaçant toute contestation de sévères sanctions, ressuscitant ainsi les pires méthodes de cette ère soviétique qu'il regrette, mais ce qu'il oublie, c'est que la société russe n'est plus ce qu'elle était du temps de Staline. Sur la base d'une génération qui n'a pas connu le communisme, il s'est développé une classe moyenne urbaine qui s'est ouverte sur le monde et dont les façons de vivre et de penser se sont rapprochées d'un certain style occidental : sa soumission est loin d'être assurée et de nombreux signes en témoignent.

Faisons le point. Dans l'impasse où il se trouve, Poutine est pratiquement condamné à une fuite en avant, ce qui signifie durcir tant les conditions de la guerre en Ukraine qu'aggraver en Russie la répression de toute opposition. Sa méthode est donc l'intimidation, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Faire peur est son arme absolue. Et c'est là qu'une riposte est possible qui peut précipiter sa chute.

Dans la conduite de la guerre et pour écarter tout risque d'intervention extérieure, Poutine n'a pas hésité à agiter la menace nucléaire. C'est évidemment effrayant et une récente enquête montre en France qu'il inquiète 65% des sondés mais réfléchissons un instant. Il reste en Russie suffisamment de gens raisonnables, y compris dans l'entourage de Poutine, pour mesurer la dimension suicidaire d'une pareille initiative Une attaque nucléaire contre un pays de l'OTAN appellerait aussitôt une riposte immédiate qui serait fatale à la Russie. Nous sommes là précisément face à la situation –type qui justifierait sa mise à l'écart avant qu'il enclenche l'irréparable.

Face à un autocrate enfermé dans une logique inconséquente et que son échec précipite dans la surenchère, il convient à la fois de demeurer calme et de conserver son sang-froid. Ne pas se laisser intimider et laisser le temps démontrer l'ampleur de son échec, ce qui conduira même ceux qui l'ont soutenu, par crainte ou par intérêt, à se désolidariser de lui. Les oligarques confrontés à défendre une cause perdue ou à sauver leur fortune en quittant un navire en perdition n'hésiteront pas longtemps. Les chefs militaires, conscients de leurs carences et des risques insensés que représenterait un élargissement du conflit, sauront se dérober. Surtout, face aux conséquences de la guerre et à la vacuité de sa motivation, la contestation grandira. Ne pas céder, ne pas répondre à d'éventuelles provocations, ne perdre aucune occasion de souligner l'isolement de l'agresseur semblent la meilleure tactique à adopter face aux menaces verbales et aux gesticulations.

L'OTAN retrouve là sa vocation première. Il ne faut pas oublier qu'elle est une alliance défensive, née à la fin des années 1940 pour contrer l'expansion d'une idéologie qui servait de prétexte au réveil de l'impérialisme russe. Aux lendemains de la dissolution de l'URSS et de la disparition de ce risque, elle ne subsistait que comme embryon de cette défense commune européenne  que les états de l'UE ne réussissaient pas à concrétiser et dont les Etats-Unis se désintéressaient de plus en plus : une chose est sûre, elle ne menaçait personne! Les fantasmes de Poutine l'ont sortie de ce coma et elle retrouve aux frontières orientales de l'UE ce rôle défensif qui donne à réfléchir.

Si nous voulons précipiter la chute du potentat moscovite, il faut donc se montrer ferme sans céder aux provocations et, surtout, se libérer d'une peur désarmante et injustifiée. Les menaces et l'intimidation ne sont là que pour masquer l'étendue des faiblesses et l'ampleur de l'échec d'une entreprise déraisonnable et anachronique.

lundi 24 janvier 2022

A propos de l'abstention électrale.

 

 

A propos de l'abstention électorale.

 

Les dernières consultations électorales ont montré un accroissement important de l'abstention et d'aucuns la redoutent à l'occasion de la future présidentielle. Mais que signifie exactement cette attitude qui, étymologiquement, se rattache à un verbe latin qu'on peut traduire par : "se tenir éloigné"?

Qu'on le veuille ou non, elle témoigne d'un désintérêt. Contrairement à ce que certains y voient, elle n'est pas un geste d'opposition comme l'est, par exemple, le dépôt d'un bulletin blanc ou nul, elle est en fait une désertion, un refus de participer qui met en question le principe même de la démocratie représentative. Elle répond parfaitement au titre de l'essai du politologue Brice Teinturier paru en 2017 : "Plus rien à faire. Plus rien à foutre"… Elle s'inscrit en ce sens dans un discrédit des institutions qui prend aussi la forme d'une défiance envers les élus qui peut aller jusqu'à l'agression physique et qui rejette le principe même sur lequel se sont fondées les démocraties libérales.

 

Un argument souvent invoqué par les abstentionnistes est que leur refus de participer entachera la légitimité de la consultation, mais où est l'irrégularité qui contesterait le bien-fondé du résultat? Aucun candidat n'a été écarté du scrutin, nulle pression n'a empêché les électeurs de voter, les abstentionnistes, simplement ne se sont pas déplacés. En fait, qu'ils  le veuillent ou non, leur démarche est le désaveu du processus électoral lui-même ce qui pose un problème de fond : pourquoi organiser un vote? C'est le principe même d'une représentation que l'abstentionniste met en cause ce qui, si l'on pousse l'argumentation jusqu'au bout, revient à récuser le fondement même de l'élection.

Une autre raison est alors avancée : aucun candidat ne correspondait à mon choix éventuel, ce vote ne sert à rien. Même si l'argument paraît faible au vu du nombre des postulants généralement en ligne, il reflète une vision proche du sectarisme. Un vote n'est pas une démarche quasi religieuse affirmant sa foi ou ses convictions, c'est un geste déterminant la manière dont la société sera dirigée et administrée. Qu'il ait manifesté ou non sa préférence, le citoyen sera gouverné et il a nécessairement intérêt à opérer un choix qui, à ses yeux, sera le moins préjudiciable à ce qu'il souhaite. Une élection relève de la stratégie et de la même manière qu'il s'établit parfois de singuliers rapprochements en diplomatie, il peut être opportun d'accepter un compromis pour éviter le pire. C'est à coup sûr plus efficace que de se retirer.

 

En fait, l'abstention révèle au fond un recul de l'esprit civique en relation avec la poussée individualiste.. En démocratie, le citoyen est appelé à donner un avis. Si vraiment, il est en total désaccord, il vote blanc mais au moins, il vote sinon, il ne se comporte pas en citoyen, mais en sujet passif puisque de toute manière, il sera gouverné. Oui, diront les irréductibles, mais il reste l'action, le geste protestataire. Quel sera-t-il?  Processionner dans la rue en criant des slogans et en brisant quelques vitrines? Se regrouper sur des ronds-points en brandissant des pancartes? On a vu ces dernières années à quoi aboutissaient ces bruyantes manifestations : quels résultats concrets en sont sortis? La prise du pouvoir par la rue est un mythe : en France, le dernier exemple est vieux  de 174 ans (la révolution de février 1848).

Participer au vote est "une responsabilité morale". C'est ce que vient d'affirmer le rapport de la Conférence des évêques de France, un organisme qui n'a guère l'habitude de traiter ces questions. "S'abstenir, déclare le texte, est un manquement à la responsabilité qui incombe à chacun à l'égard de tous ; assumer cette responsabilité est un devoir".*

On ne saurait mieux dire et l'on pourrait aussi s'interroger, à partir de ces propos sur les refus de vaccination, une autre forme de l'abstention.

 

Cité dans "Le Monde" du 20 janvier 2022.