mercredi 23 janvier 2013

Ne recommençons pas.




Il serait regrettable que par un fâcheux mécanisme mimétique, la droite parlementaire reproduise à l'égard du président Hollande l'équivalent du stupide antisarkozysme systématique qui caractérisa la précédente opposition. Dans les circonstances actuelles, les voix qui évoquent l'impréparation dans l'opération au Mali ou qui soulignent, en en rendant le pouvoir responsable, l'isolement de la France ne font que reprendre, en la retournant, l'antienne médiatique qui accusait inlassablement le président Sarkozy d'improvisation.  Elles légitiment ainsi une attitude qui conduisit des gens qui s'affirmaient de gauche à manier, apparemment sans en prendre conscience tant leur emportement les aveuglait, des concepts et un vocabulaire généralement réservés à la droite extrême.
Souvenons-nous de ces prétendus humoristes daubant sur des traits physiques ou glissant des sous-entendus salaces concernant la vie privée, de cet éditorialiste connu dont le magazine afficha inlassablement en couverture pendant cinq ans insultes et insinuations offensantes. Ce dernier ne manquait pas de décrire le président Sarkozy comme une sorte d'aventurier parvenu fasciné par l'upper class et couvrant de faveurs "les riches" jusqu'au jour où lui-même, assimilant le geste prêté à DSK dans un grand hôtel de New-York à un "troussage de domestique", donne ainsi en direct et sans fard la mesure de sa proximité du peuple… A-t-on oublié ce journaliste qui officia au "Monde" avant de créer un célèbre site en ligne et qui osa traiter le chef de l'Etat régulièrement élu de "délinquant constitutionnel" ? Il serait grandement dommageable de recommencer le même harcèlement à l'égard de François Hollande même si celui-ci se montra parfois complice de ces débordements. Ils sont indignes et inappropriés au moment où Hollande s'inscrit précisément dans la ligne de ce que Sarkozy offrait de mieux : le courage et la détermination.
Les enjeux, d'autre part, sont trop importants. Même s'il déguise encore l'adversaire sous la vague dénomination de terroristes, chacun sait que c'est à l'islamisme radical que le président Hollande a déclaré la guerre. Au Caire, le régime des Frères musulmans ne s'y trompe pas, lui qui voit dans le salafisme et ses prolongements djihadistes l'avant-garde un peu turbulente du combat pour la charia et qui les encourage discrètement : le président Morsi est l'un des rares chefs d'état à se désolidariser de l'entreprise française.
Dans ces conditions, critiquer dans le seul but d'affaiblir à des fins médiocrement politiciennes est dérisoire et consternant et ce n'est pas parce que maintes personnalités aujourd'hui au pouvoir se le sont permis naguère qu'il est bon de les imiter. François Hollande bénéficie de la sidération des médias qui firent leur miel de l'antisarkozysme et que sa politique actuelle plonge dans le désarroi, il est inutile et dangereux de leur apporter les arguments propres à nourrir de nouvelles invectives.

vendredi 18 janvier 2013

Hollande "imperator".





La fonction crée l'organe, énonçait Lamarck au XVIII° siècle. Les progrès de la science n'ont peut être pas corroboré la proposition, mais il n'est pas impossible que celle-ci puisse s'appliquer aux présidents de la V° République, spécialement depuis l'instauration du quinquennat. François Hollande, dont on se demandait ici même il y a quelques mois si son profil correspondait bien aux exigences de l'hyperprésidence instituée par la réforme de 2000 vient, comme par un coup de baguette magique, de s'affirmer dans un style que n'aurait pas désavoué son prédécesseur pourtant si décrié. Et pas à propos d'une question anodine : en se déclarant en guerre !
Au temps du septennat, les présidents laissaient leur empreinte sous la forme de quelque grande réalisation culturelle emblématique. Pompidou avait installé le Centre Beaubourg ; après avoir inauguré la Grande Arche de la Défense, Mitterrand avait rénové le Louvre et l'avait doté de sa pyramide ; Chirac avait créé le musée des Arts premiers du quai Branly. Les présidents du quinquennat, dont le pouvoir s'apparente à celui des rois et empereurs de jadis, semblent avoir décidé, eux, de marquer leur mandat du sceau de la guerre. Nicolas Sarkozy, en 2011, avait envoyé l'armée en Libye pour en chasser le dictateur Khadafi. Plus audacieux encore, François Hollande s'engage seul au Mali dans une opération risquée contre les bandes djihadistes qui sèment la terreur dans le Sahel.
Du coup, le voilà qui se transfigure. L'homme qu'on présentait volontiers comme indécis, sans grande autorité, plus enclin à négocier qu'à trancher, dont certains brocardaient l'apparence de notaire de province et les cravates de travers, se mue subitement en chef de guerre. Expression sévère, démarche assurée, il n'est pas jusqu'à son élocution un peu saccadée, qui donnait la permanente impression de l'hésitation, qui ne s'affermisse. Il prend soudain le ton du commandement, il se révèle comme le veut la Constitution en chef suprême des armées, la fonction pour laquelle les anciens Romains avaient inventé le titre d'imperator.
Et personne ne sourit; Les humoristes patentés se taisent. Les leaders de l'opposition énoncent timidement quelques objections sans insister puisque les sondages annoncent que 70% de l'opinion approuve. Seul aux commandes, ayant décidé une opération bien plus conséquente que celle de Libye puisqu'elle engage des troupes terrestres, François Hollande vient d'endosser le costume hyperprésidentiel avec la même autorité que Nicolas Sarkozy naguère. Fin de l'épisode de la "normalité" présidentielle. Ou plutôt non, reconnaissance que c'est ainsi que sous la V° République quinquennale, un président est "normal".
Gardons-nous d'ironiser. En agissant ainsi, le président Hollande s'avère le premier haut responsable occidental à déclarer la guerre à ce cancer du monde actuel qu'est l'islamisme radical. Foin des faux-semblants et des pirouettes du "politiquement correct", l'ennemi est clairement désigné et en y allant seule quand les autres tergiversent, la France donne une véritable leçon au monde, et en premier lieu à l'Occident, européen comme américain. La détermination de François Hollande déstabilise même les régimes islamiques qui se prétendent modérés, à Tunis ou au Caire, et qui se voient obligés de se désolidariser des courants salafistes qu'ils encourageaient en sous-main.
Evidemment, on dira que tout cela fait aussi diversion, que ça ne réglera ni la question du chômage, ni le poids d'une dette publique qui risque encore d'augmenter car la guerre coûte cher. Certains rappelleront que l'intervention de Louis XVI en 1778 dans la guerre d'Indépendance américaine, (qui fut décisive), ne manquait certes pas de panache, mais précipita la chute de la monarchie en transformant le trou budgétaire en abîme.
Tout cela est vrai, mais tant qu'à faire diversion, prendre la tête du combat contre l'islamisme radical a quand même une autre allure que s'empoigner autour du "mariage pour tous".

lundi 14 janvier 2013

Continuité.




Plus les semaines passent, plus l'impression de continuité entre la politique du nouveau président et celle menée par son prédécesseur se précise.
Evidemment, le vocabulaire a changé, la langue française à d'infinies ressources mais même le style présidentiel, qui semblait au début le signe marquant du changement, s'est progressivement infléchi. Le président Hollande a oublié le train pour retrouver l'avion, y compris l'usage de cet appareil présidentiel prétendument pharaonique qui aurait fait le bonheur de quelque potentat d'Asie centrale ou d'Afrique si on l'avait mis en vente, mais qu'on a trouvé préférable de conserver et d'utiliser. Le président Hollande s'est aussi découvert la vocation d'aller sur le terrain, y compris au marché de Rungis au petit matin. Il appuie avant même que la Justice s'en occupe la plainte de sa compagne contre les auteurs d'une biographie non autorisée. Il court-circuite son Premier ministre et laisse clairement entendre que c'est à son niveau que se prennent les décisions. Lui qui manifestait sa répugnance pour les ors et les fastes des palais de la République transforme une conférence de presse en une cérémonie digne de la Cour de France. Il n'en est pas à faire un jogging matinal, mais ça va peut-être venir.
Tout cela ne relèverait néanmoins que du folklore s'il n'y avait les choix politiques et les décisions mises en œuvre.
Le traité européen, justement surnommé "Merkozy", que le candidat Hollande s'était engagé à renégocier a été adopté, moyennant un codicille qui n'engage à peu près personne. La réforme des universités a été maintenue. La TVA que l'ancienne majorité qualifiait de "sociale" et que l'opposition socialiste d'alors fustigeait impitoyablement a été réintroduite sans son épithète, ce qui change tout. Le "choc de compétitivité" que prônait l'ancienne majorité est devenu un pacte. La flexibilité du travail a été introduite au terme d'une grand'messe, mais le gouvernement avait annoncé, tel un Sarkozy, que s'il n'y avait pas d'accord au bout de quarante-huit heures, il légiférerait d'autorité. On va remettre sur le métier la réforme des retraites, jugée incomplète alors qu'au moment de son élaboration, l'opposition aujourd'hui au pouvoir participait à une mobilisation massive dans la rue contre le projet. Et pour couronner le tout, le président engage la France dans une guerre en Afrique quand ses amis parlaient d'aventurisme aux premiers jours de l'intervention en Libye.
Va-t-on en faire reproche au président Hollande ? Certes non, le pire aurait été (on l'a craint un moment) qu'un antisarkozysme névrotique conduise à tout jeter à bas alors que le nouveau pouvoir, hors des incantations, n'avait rien de précis à mettre à la place. Le réalisme a triomphé, mettant clairement en lumière qu'il n'y a pas grand choix de solutions aux problèmes qui se posent, vu la convergence de contraintes qui s'imposent et sur lesquelles nul n'a prise à l'échelle nationale. Quelques réajustements sont toujours possibles mais là encore, la marge est limitée et ne laisse pas place aux gestes spectaculaires, comme l'a montré le destin avorté de la taxation à 75% et comme se prépare l'enterrement du droit de vote des étrangers aux élections locales.
La continuité dans la conduite des politiques vient simplement souligner le côté artificiel, sinon théâtral, de l'opposition droite-gauche, au niveau des partis décidés à gouverner. Celle-ci n'a plus de sens qu'à la hauteur des extrêmes, où l'imprécation tient lieu de programme et où la certitude de ne pas accéder au pouvoir permet toutes les propositions, seraient-elles absurdes. La prise de conscience du côté fallacieux de prétendues alternatives devrait logiquement, comme cela se produit dans d'autres pays, conduire à la constitution d'un gouvernement d'union nationale qui fédérerait tous les efforts. Hélas ! l'opinion en France est profondément manichéenne, depuis les Armagnacs et les Bourguignons, et tout abandon des traditionnels clivages, seraient-ils devenus illusoires, mettrait en question trop de déroulements de carrière dans la classe politique pour qu'une telle option soit même envisageable.
Il est bien plus gratifiant de poursuivre et de prolonger en faisant semblant de faire autre chose. L'emballage compte plus que le contenu, comme l'ont depuis longtemps compris les experts en marketing.

dimanche 6 janvier 2013

Sus aux riches !




Les Français ont un curieux rapport à l'argent. Non qu'ils ne l'aiment pas ; si c'était le cas, ils ne seraient pas 26 millions chaque année à tenter les jeux de hasard, ce qui permet au ministère des Finances de recouvrer sous la forme d'un impôt volontaire trois milliards d'euros prélevés sur les plus démunis sans que nul ne proteste… Non, ils n'aiment pas ceux qui ont de l'argent, ce qui est différent.. Il suffit de voir combien l'invention du slogan "président des riches"a causé de tort à l'ancien chef de l'état et combien la formule "faire payer les riches" a été profitable au nouveau.
 Dans les autres pays, il n'en va pas de même, spécialement dans ceux qui relèvent d'une culture anglo-saxonne. Là, au contraire, la personne qui a fait fortune est volontiers admirée, parfois célébrée et toujours donnée en exemple. Pourquoi la même situation sociale fait-elle d'un individu, aux Etats-Unis une sorte de héros, et en France un quasi coupable ?
Peut-être faut-il se pencher sur les racines culturelles et en particulier, (n'en déplaise à ceux qui sont réfractaires toute référence de ce genre) sur notre héritage religieux. Car il n'y a rien à faire et qu'on soit laïc militant ou athée convaincu n'y change rien : quinze siècles de catholicisme romain nous ont quasi génétiquement marqué, d'autant que la Réforme protestante du XVI° siècle, Louis XIV aidant, nous a glissé dessus. Nous n'aimons pas les riches !

D'où cela nous vient-il ? Sans doute du Moyen-âge, et précisément du XIV° siècle et de cette glorification de la pauvreté qui s'est alors diffusée, des condamnations de St Thomas aux prédications de St François d'Assise. Même si St Paul s'en était pris aux richesses matérielles dès les origines du christianisme, il n'existe pas avant le XIV° siècle de réprobation systématique à l'égard de l'enrichissement, si ce n'est l'opprobre jeté sur le mauvais usage de la fortune et l'usure. C'est alors, dans un monde troublé et parcouru d'agitation sociale, que se développe le thème du choix délibéré de la pauvreté par le Christ et d'une sorte de vertu du pauvre, spécialement aimé de Dieu. C'est volontairement que St François se dépouille et que ses disciples décident de vivre en mendiants. Même si l'Eglise officielle prend ses distances avec ces thèmes, il va en demeurer quelque chose et l'idée récurrente qu'il y a dans la richesse terrestre quelque chose du péché.
Deux siècles plus tard, le Protestantisme calviniste choisit une voie inverse. Ayant repris à son compte l'idée chère à St Augustin que Dieu sait qui sera, au terme de sa vie terrestre, élu ou damné, Calvin cherche à discerner quels indices pourraient laisser présumer de la décision divine. La réussite et le profit, s'ils sont le fruit du travail et de l'esprit d'entreprise, peuvent en être et annoncer la promesse du salut. Loin d'être suspecte, la fortune honnêtement acquise est le signe de la sollicitude divine. Le riche n'est pas un réprouvé : être un homme de biens est aussi s'affirmer homme de bien ! On comprend que le sociologue Max Weber ait vu dans l'éthique calviniste la matrice idéologique du capitalisme.
L'Angleterre et son prolongement américain se sont imprégnés au XVII° siècle de pensée calviniste. Quatre siècles plus tard, les structures culturelles ainsi établies perdurent, que les gens soient croyants ou non, de même qu'en France, la très ancienne empreinte du catholicisme romain nourri depuis la fin du Moyen-âge d'esprit franciscain ne s'est jamais effacée et a inconsciemment  influé sur la définition d'une pensée de gauche.
Certes, aux XIX° et XX° siècles, la longue hégémonie du modèle marxiste a substitué à l'idéal chrétien de charité une aspiration à la justice reposant sur l'abolition de la société de classe, mais ce glissement n'a évidemment pas amélioré l'image du riche, assimilé à présent à celle de l'exploiteur bourgeois. La progressive éclipse des modèles marxiens, discrédités par l'aventure soviétique, aurait peut-être pu annoncer un réexamen si le retour en force de thèmes chrétiens n'avait ranimé à gauche les antiques réflexes. Le ralliement massif des catholiques de gauche, mobilisés contre la guerre d'Algérie, au nouveau parti socialiste que constitue dans les années 1970 François Mitterrand, réintroduit un discours et des modèles où le pauvre, le démuni se substitue à l'image marxiste du prolétaire et où la dévalorisation du riche mêle de façon subtile les échos de la lutte des classes et la vieille réprobation d'origine religieuse. Les réels excès de certains, dus aux égarements des pratiques néolibérales, apportent en plus de l'eau au moulin. Le riche devient l'ennemi, le faire payer la solution de tous les problèmes et ce fantasme participe au mouvement qui porte au pouvoir une majorité de gauche, aveuglant les dirigeants eux-mêmes au point de leur faire improviser des mesures extrêmes si mal calculées qu'elles apparaîtront inconstitutionnelles.
Il est probable qu'au froid contact des réalités, cette effervescence s'apaise, mais qu'en sera-t-il dans l'opinion ? Combattre l'excès d'inégalité ne signifie pas couper tout ce qui dépasse. La sagesse serait peut-être de considérer, avec John Rawls, que toute société est nécessairement inégale et que la justice s'applique quand la situation faite aux défavorisés est la meilleure possible. Et cela sans qu'il soit indispensable de mettre "les aristocrates à la lanterne".