Embarras
évident des chancelleries occidentales devant les derniers événements d'Egypte,
mais étranges commentaires de personnalités médiatiques ou de politologues
qu'on attendrait plus perspicaces.
Coup d'état,
interruption d'un processus démocratique, renversement d'un président élu… Tout
est certes vrai, mais est-ce si simple ? Entre l'intransigeante application de
principes théoriques et l'examen d'une conjoncture spécifique, entre le respect
inconditionnel des règles de l'état de droit et les réalités d'une société dont
les normes appartiennent à un espace culturel qui n'est pas celui de l'Occident,
n'y a-t-il pas nécessité de prendre en compte un certain nombre de données.
Un processus
démocratique en devenir ? Admettons, mais que penser d'une constitution
approuvée par 30% seulement de l'électorat potentiel et, surtout, de la
formation politique qui s'est trouvée par la suite portée au pouvoir ? Que
sait-on exactement en Europe des Frères musulmans, de leur organisation, de
leurs projets et est-il pertinent d'en faire les parangons de la démocratie ?
Les Frères
musulmans ne sont pas un parti politique, c'est une confrérie religieuse
internationale, remarquablement organisée et dont les réseaux, largement
financés par le Qatar, s'étendent partout où existe une communauté musulmane.
Son idéologie a imprégné ce qu'on nomme aujourd'hui l'islamisme politique, de
la Tunisie à la Turquie, et cette idéologie est tout sauf démocratique.
Il serait bon
pour les actuels commentateurs de prendre connaissance des écrits de Sayyed
Qotb (1906-1966), qui fut (et reste) le maître à penser des Frères.
Tout pouvoir
procède de Dieu seul et en imaginant qu'ils pourraient décider à sa place, les
hommes ont commis le pire des péchés. Il convient donc de restaurer et d'établir
définitivement sur l'humanité entière le règne et l'autorité absolue de Dieu
par l'universelle prescription de la charia,
et cela au prix d'une lutte impitoyable contre les mécréants. Toute liberté d'incroyance
en Dieu est criminelle, toute coexistence avec d'autres religions impensable,
l'idée même de laïcité est une impiété. L'objectif final de l'Islam est la
Terre entière.
"Un mouvement totalitaire, écrivait en
1951 Hannah Arendt dans "Les origines du totalitarisme", est international dans son organisation,
universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques".
Elle ne pensait certes pas aux Frères musulmans, mais comment ne pas
reconnaître l'adéquation de la définition.
C'est ce
mouvement que les élections égyptiennes avaient porté à la direction du pays
suite au renversement de Hosni Moubarak. Il avait aussitôt entrepris un patient
et méthodique noyautage des institutions de l'état, éliminant soigneusement
tout ce qui lui paraissait hostile et même suspect. La chance a peut-être voulu
que l'incompétence de son personnel politique éclate vite au grand jour. "L'Islam est la solution, le Coran notre
constitution", clamaient à l'envie les Frères. Allah ne les a pas
entendus et le peuple s'est détaché d'eux, mais ils avaient le pouvoir et ils
n'étaient certes pas prêts à le lâcher.
On peut penser
ce qu'on veut de l'armée égyptienne, de son rôle économique, de ses privilèges,
de son opportunisme. N'empêche, elle a peut être évité au peuple égyptien et –
qui sait – au monde arabo-musulman de tomber sous la coupe d'un mouvement
rétrograde qui n'a vu dans le processus démocratique qu'un commode marchepied
pour s'emparer des rênes. Certes, rien n'est réglé à l'heure qu'il est, mais il
n'en demeure pas moins qu'un coup d'arrêt a été donné.
Alors, de
grâce, ne geignons pas sur la démocratie outragée : les Frères musulmans se
préparaient à l'étrangler à terme.
A écouter
certains commentateurs occidentaux ces jours-ci, on se dit que vivant une autre
époque, s'ils avaient vu en 1934 les généraux de la Reichswehr renverser par un
coup d'état le pouvoir d'Adolf Hitler et de son parti, effectivement issus d'un
vote majoritaire en février 1933, ils auraient crié à l'assassinat de la
démocratie.