Ainsi, l'ancien président Sarkozy est inculpé. En ces
temps où les sourds sont des malentendants et les aveugles des malvoyants, on
dit "mis en examen. Pour "abus de faiblesse, abus de confiance et
escroquerie aggravée", jugez du peu !
La semaine dernière, le ministre du budget Jérôme
Cahuzac devait démissionner suite à l'ouverture d'une information par le
Parquet de Paris pour "blanchiment présumé de fraude fiscale" !
Loin de nous l'intention de défendre inconditionnellement
la classe politique, mais la magistrature donne quand même un peu l'impression
de jouer aux quilles avec les personnalités de pouvoir. Dans le cas de Nicolas
Sarkozy, son implication dans l'imbroglio des Bettancourt, ténébreuse affaire
au parfum balzacien où se croisent haines familiales, ragots de domestiques
plus ou moins stipendiés, tapage médiatique, paraît bien difficile à établir,
mais qu'importe. Certains imaginent des complots, les choses sont sans doute
plus simples : les gens de justice, que Sarkozy ne ménagea guère, ont là
l'occasion de prendre leur revanche. C'est un juge d'instruction, espèce que
l'ex-président voulait voir disparaître, qui le poursuit en lui lançant comme
autant de projectiles cette avalanche d'accusations. Et de plus (ironie des
patronymes), il se nomme Gentil.
La question n'est pas de savoir comment tout cela
finira, (vraisemblablement tel un fleuve s'asséchant dans le vaste désert des
tergiversations juridiques, comme Clearstream
et d'autres affaires), mais de discerner à qui profite in-fine cette agitation et ces invectives ? En un temps où montent
les divers populismes, où prospère le discours bien connu du "tous
pourris", on le devine. C'est le régime même que, drapés dans leur toge,
les juges sapent. Et, indirectement, en faveur d'un redoutable inconnu où
eux-mêmes ont sans doute tout à perdre. Là encore, l'histoire offre un exemple.
Sous l'Ancien Régime, la justice était l'affaire des
Parlements, qui tenaient lieu de cours d'appel et dont les membres, propriétaires
de leur charge comme sont aujourd'hui les notaires, assuraient ainsi leur
indépendance relativement au pouvoir royal. En plus de leur rôle judiciaire,
les Parlements (et en premier lieu le plus important, le Parlement de Paris)
enregistraient les ordonnances et édits royaux après avoir – en bons juristes –
vérifié leur compatibilité avec les textes législatifs déjà existants. S'il apparaissait
une discordance, ils en avertissaient le pouvoir en "remontrant" le
texte afin de le mettre en conformité, tâche qui incomberait de nos jours au
Conseil d'état ou au Conseil constitutionnel. C'était le "droit de
remontrance", le mot n'étant alors absolument pas imprégné du sens
pénalisant dont il s'est aujourd'hui chargé.
Lors des troubles qui avaient suivi la mort de Louis
XIII (la Fronde), le Parlement de Paris, jouant d'une homonymie avec le
Parlement d'Angleterre, avait prétendu contrôler les finances, aussi, Louis
XIV, qui n'était pas homme à se faire dicter sa conduite, lui avait de-facto retiré en 1673 le droit de
remontrance en lui interdisant toute remarque sur les lois.
Les parlementaires rongèrent leur frein jusqu'à la
mort du Grand Roi et après 1715, ils obtinrent du Régent la restitution de
leurs prérogatives.
La couronne aurait dû se méfier. A partir de 1750, ces
juges s'érigèrent en contre-pouvoir et bloquèrent systématiquement en refusant
l'enregistrement toutes les tentatives de réforme des ministres de Louis XV, y
compris celles qui visaient à mettre fin aux privilèges fiscaux (dont, en tant
que nobles, ils profitaient largement). Exaspéré, le roi désigna en 1768 comme
Garde des sceaux, chancelier de France, René Nicolas de Maupeou, avec comme
mission de neutraliser l'opposition parlementaire.
Maupeou n'y alla pas par quatre chemins, en 1771, (et
aux applaudissements de Voltaire), il remplaçait les Parlements par six
Conseils supérieurs composés non plus de magistrats propriétaires de leur
charge, mais de juges inamovibles nommés par le roi et rémunérés par l'Etat.
Autant dire qu'il ne se faisait pas que des amis et que les magistrats évincés
firent grand bruit, se présentant comme les victimes du despotisme et les
défenseurs de la liberté.
Malheureusement, Louis XV mourut en mai 1774, laissant
le trône à son petit-fils âgé de 20 ans,
inexpérimenté et influençable, Louis XVI. Ce dernier n'aimait pas le
chancelier de Maupeou, il le trouvait arrogant et autoritaire. Des conseillers
intéressés l'incitèrent à revenir sur la réforme de 1771 et à rappeler les
anciens Parlements, ce qu'il fit. Dès lors, les juges reprirent leur tactique
de harcèlement du pouvoir, provoquant la démission des ministres et sapant
méthodiquement les bases du pouvoir monarchique en l'empêchant de se réformer.
Jusqu'au jour où il n'y eut plus pour issue à la crise qui minait les finances
du royaume que le recours aux Etats-généraux. On connaît la suite.
Comme il y a parfois une morale en histoire, la
Révolution ne servit pas ceux qui l'avaient (bien plus que les philosophes ou,
à plus forte raison, le peuple) provoquée en défendant leurs intérêts de corps
tout en prétendant servir le bien public. En 1790, l'Assemblée
constituante supprima purement et simplement les Parlements, remplacés par des
juges élus payés par l'Etat et dans les années 1793-94, nombreux furent les
ex-parlementaires à monter à l'échafaud parce qu'ils étaient nobles.
Qui sème le vent récolte la tempête, dit la sagesse
populaire. Souhaitons que l'histoire ne se répète pas trop.