vendredi 22 mars 2013

Qui sème le vent peut récolter la tempête.




Ainsi, l'ancien président Sarkozy est inculpé. En ces temps où les sourds sont des malentendants et les aveugles des malvoyants, on dit "mis en examen. Pour "abus de faiblesse, abus de confiance et escroquerie aggravée", jugez du peu !
La semaine dernière, le ministre du budget Jérôme Cahuzac devait démissionner suite à l'ouverture d'une information par le Parquet de Paris pour "blanchiment présumé de fraude fiscale" !
Loin de nous l'intention de défendre inconditionnellement la classe politique, mais la magistrature donne quand même un peu l'impression de jouer aux quilles avec les personnalités de pouvoir. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, son implication dans l'imbroglio des Bettancourt, ténébreuse affaire au parfum balzacien où se croisent haines familiales, ragots de domestiques plus ou moins stipendiés, tapage médiatique, paraît bien difficile à établir, mais qu'importe. Certains imaginent des complots, les choses sont sans doute plus simples : les gens de justice, que Sarkozy ne ménagea guère, ont là l'occasion de prendre leur revanche. C'est un juge d'instruction, espèce que l'ex-président voulait voir disparaître, qui le poursuit en lui lançant comme autant de projectiles cette avalanche d'accusations. Et de plus (ironie des patronymes), il se nomme Gentil.
La question n'est pas de savoir comment tout cela finira, (vraisemblablement tel un fleuve s'asséchant dans le vaste désert des tergiversations juridiques, comme Clearstream et d'autres affaires), mais de discerner à qui profite in-fine cette agitation et ces invectives ? En un temps où montent les divers populismes, où prospère le discours bien connu du "tous pourris", on le devine. C'est le régime même que, drapés dans leur toge, les juges sapent. Et, indirectement, en faveur d'un redoutable inconnu où eux-mêmes ont sans doute tout à perdre. Là encore, l'histoire offre un exemple.

Sous l'Ancien Régime, la justice était l'affaire des Parlements, qui tenaient lieu de cours d'appel et dont les membres, propriétaires de leur charge comme sont aujourd'hui les notaires, assuraient ainsi leur indépendance relativement au pouvoir royal. En plus de leur rôle judiciaire, les Parlements (et en premier lieu le plus important, le Parlement de Paris) enregistraient les ordonnances et édits royaux après avoir – en bons juristes – vérifié leur compatibilité avec les textes législatifs déjà existants. S'il apparaissait une discordance, ils en avertissaient le pouvoir en "remontrant" le texte afin de le mettre en conformité, tâche qui incomberait de nos jours au Conseil d'état ou au Conseil constitutionnel. C'était le "droit de remontrance", le mot n'étant alors absolument pas imprégné du sens pénalisant dont il s'est aujourd'hui chargé.
Lors des troubles qui avaient suivi la mort de Louis XIII (la Fronde), le Parlement de Paris, jouant d'une homonymie avec le Parlement d'Angleterre, avait prétendu contrôler les finances, aussi, Louis XIV, qui n'était pas homme à se faire dicter sa conduite, lui avait de-facto retiré en 1673 le droit de remontrance en lui interdisant toute remarque sur les lois.
Les parlementaires rongèrent leur frein jusqu'à la mort du Grand Roi et après 1715, ils obtinrent du Régent la restitution de leurs prérogatives.
La couronne aurait dû se méfier. A partir de 1750, ces juges s'érigèrent en contre-pouvoir et bloquèrent systématiquement en refusant l'enregistrement toutes les tentatives de réforme des ministres de Louis XV, y compris celles qui visaient à mettre fin aux privilèges fiscaux (dont, en tant que nobles, ils profitaient largement). Exaspéré, le roi désigna en 1768 comme Garde des sceaux, chancelier de France, René Nicolas de Maupeou, avec comme mission de neutraliser l'opposition parlementaire.
Maupeou n'y alla pas par quatre chemins, en 1771, (et aux applaudissements de Voltaire), il remplaçait les Parlements par six Conseils supérieurs composés non plus de magistrats propriétaires de leur charge, mais de juges inamovibles nommés par le roi et rémunérés par l'Etat. Autant dire qu'il ne se faisait pas que des amis et que les magistrats évincés firent grand bruit, se présentant comme les victimes du despotisme et les défenseurs de la liberté.
Malheureusement, Louis XV mourut en mai 1774, laissant le trône à son petit-fils âgé de 20 ans,  inexpérimenté et influençable, Louis XVI. Ce dernier n'aimait pas le chancelier de Maupeou, il le trouvait arrogant et autoritaire. Des conseillers intéressés l'incitèrent à revenir sur la réforme de 1771 et à rappeler les anciens Parlements, ce qu'il fit. Dès lors, les juges reprirent leur tactique de harcèlement du pouvoir, provoquant la démission des ministres et sapant méthodiquement les bases du pouvoir monarchique en l'empêchant de se réformer. Jusqu'au jour où il n'y eut plus pour issue à la crise qui minait les finances du royaume que le recours aux Etats-généraux. On connaît la suite.
Comme il y a parfois une morale en histoire, la Révolution ne servit pas ceux qui l'avaient (bien plus que les philosophes ou, à plus forte raison, le peuple) provoquée en défendant leurs intérêts de corps tout en prétendant servir le bien public. En 1790, l'Assemblée constituante supprima purement et simplement les Parlements, remplacés par des juges élus payés par l'Etat et dans les années 1793-94, nombreux furent les ex-parlementaires à monter à l'échafaud parce qu'ils étaient nobles.
Qui sème le vent récolte la tempête, dit la sagesse populaire. Souhaitons que l'histoire ne se répète pas trop.

1 commentaire:

  1. L'actualité Cahuzac sème-t-elle la tempête ?

    On peut vilipender les juges qui fragilisent la démocratie en mettant en accusation à outrance les politiques, mais on peut surtout noter que les premiers d'entre eux (Cahuzac aujourd'hui, certainement Sarkozy demain)s'illustrent dans le mensonge le plus vil et décrédibilisent seuls la fonction qu'ils occupent. Espérons une lourde condamnation, car avoir eu un compte en Suisse, passe encore (pas très citoyen et maladroit pour qui veut incarner la probité de la république!), mais l'avouer dans de telles circonstances, c'est pitoyable et cela donne raison à la pugnacité des petits juges et - accessoirement - de Médiapart.

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