lundi 24 janvier 2022

A propos de l'abstention électrale.

 

 

A propos de l'abstention électorale.

 

Les dernières consultations électorales ont montré un accroissement important de l'abstention et d'aucuns la redoutent à l'occasion de la future présidentielle. Mais que signifie exactement cette attitude qui, étymologiquement, se rattache à un verbe latin qu'on peut traduire par : "se tenir éloigné"?

Qu'on le veuille ou non, elle témoigne d'un désintérêt. Contrairement à ce que certains y voient, elle n'est pas un geste d'opposition comme l'est, par exemple, le dépôt d'un bulletin blanc ou nul, elle est en fait une désertion, un refus de participer qui met en question le principe même de la démocratie représentative. Elle répond parfaitement au titre de l'essai du politologue Brice Teinturier paru en 2017 : "Plus rien à faire. Plus rien à foutre"… Elle s'inscrit en ce sens dans un discrédit des institutions qui prend aussi la forme d'une défiance envers les élus qui peut aller jusqu'à l'agression physique et qui rejette le principe même sur lequel se sont fondées les démocraties libérales.

 

Un argument souvent invoqué par les abstentionnistes est que leur refus de participer entachera la légitimité de la consultation, mais où est l'irrégularité qui contesterait le bien-fondé du résultat? Aucun candidat n'a été écarté du scrutin, nulle pression n'a empêché les électeurs de voter, les abstentionnistes, simplement ne se sont pas déplacés. En fait, qu'ils  le veuillent ou non, leur démarche est le désaveu du processus électoral lui-même ce qui pose un problème de fond : pourquoi organiser un vote? C'est le principe même d'une représentation que l'abstentionniste met en cause ce qui, si l'on pousse l'argumentation jusqu'au bout, revient à récuser le fondement même de l'élection.

Une autre raison est alors avancée : aucun candidat ne correspondait à mon choix éventuel, ce vote ne sert à rien. Même si l'argument paraît faible au vu du nombre des postulants généralement en ligne, il reflète une vision proche du sectarisme. Un vote n'est pas une démarche quasi religieuse affirmant sa foi ou ses convictions, c'est un geste déterminant la manière dont la société sera dirigée et administrée. Qu'il ait manifesté ou non sa préférence, le citoyen sera gouverné et il a nécessairement intérêt à opérer un choix qui, à ses yeux, sera le moins préjudiciable à ce qu'il souhaite. Une élection relève de la stratégie et de la même manière qu'il s'établit parfois de singuliers rapprochements en diplomatie, il peut être opportun d'accepter un compromis pour éviter le pire. C'est à coup sûr plus efficace que de se retirer.

 

En fait, l'abstention révèle au fond un recul de l'esprit civique en relation avec la poussée individualiste.. En démocratie, le citoyen est appelé à donner un avis. Si vraiment, il est en total désaccord, il vote blanc mais au moins, il vote sinon, il ne se comporte pas en citoyen, mais en sujet passif puisque de toute manière, il sera gouverné. Oui, diront les irréductibles, mais il reste l'action, le geste protestataire. Quel sera-t-il?  Processionner dans la rue en criant des slogans et en brisant quelques vitrines? Se regrouper sur des ronds-points en brandissant des pancartes? On a vu ces dernières années à quoi aboutissaient ces bruyantes manifestations : quels résultats concrets en sont sortis? La prise du pouvoir par la rue est un mythe : en France, le dernier exemple est vieux  de 174 ans (la révolution de février 1848).

Participer au vote est "une responsabilité morale". C'est ce que vient d'affirmer le rapport de la Conférence des évêques de France, un organisme qui n'a guère l'habitude de traiter ces questions. "S'abstenir, déclare le texte, est un manquement à la responsabilité qui incombe à chacun à l'égard de tous ; assumer cette responsabilité est un devoir".*

On ne saurait mieux dire et l'on pourrait aussi s'interroger, à partir de ces propos sur les refus de vaccination, une autre forme de l'abstention.

 

Cité dans "Le Monde" du 20 janvier 2022.