Devenu roi en 1774, Louis XVI trouve une situation financière fort
compromise et un état au bord de la banqueroute. Il fait d'abord confiance,
pour redresser la situation, au ministre Turgot, ami d'Adam Smith et acquis aux
toutes neuves idées du libéralisme économique. Puis, déçu des résultats et sous
la pression de son entourage, il s'en sépare deux ans plus tard pour faire
appel à un banquier genevois, Jacques Necker.
La monarchie française paraît alors un système sclérosé,
paralysé par une multitude de blocages, doté d'un système fiscal qui, au nom de
privilèges acquis de longtemps par la noblesse et le clergé, prive la couronne
de la possibilité d'imposer les plus riches. L'administration révèle un
empilement de structures et de juridictions qui font double emploi ou se
contrarient. Le déficit permanent a conduit l'Etat à multiplier les emprunts au
point que dans les années 1780, le service de la dette absorbe 80% des recettes
publiques.
Necker décide à partir de 1776 une politique résolue
de compression des dépenses publiques et de réorganisation administrative
visant à la simplification et à la décentralisation, ce qui lui aliène les
notables de province. Peu sensible aux arguments des libéraux, il envisage de
développer le rôle de l'Etat, en particulier sa fonction d'assistance. Surtout,
il suggère une réforme fiscale qui, en taxant les biens fonciers, permettrait
de tourner les privilèges de l'aristocratie et du clergé. C'en est trop, ces
derniers obtiennent du roi son renvoi.
Entre temps (et contre l'avis de Necker), la monarchie
française s'est lancée dans le soutien aux Américains soulevés contre leur
métropole britannique, action qui ira jusqu'à la déclaration de guerre au
Royaume-Uni en 1778. Opération se déroulant sur un lointain continent et
mobilisant d'énormes forces navales, la guerre d'Amérique est, certes, un grand
succès de prestige et elle permet la naissance des Etats-Unis, mais, financée à
coup d'emprunts, elle transforme le déficit financier de la France en abîme
sans fond ! Ayant récusé Necker, Louis XVI, après quelques tâtonnements, fait
alors appel à Charles-Alexandre de Calonne.
Brillant, spirituel, très à l'aise à la Cour, Calonne
n'a pourtant rien du personnage frivole souvent décrit. Il a un passé
d'administrateur compétent, ayant derrière lui une carrière d'intendant (nous
dirions aujourd'hui préfet) où il a fait preuve de pragmatisme et d'efficacité.
A la différence de ces prédécesseurs, ce n'est en rien un doctrinaire. Pour
lui, le premier impératif est de reconquérir la confiance des marchés
financiers qui prêtent à la France et pour ce faire, il faut dissimuler ses
faiblesses et réactiver l'économie, vraie créatrice de richesse. On appellerait
cela, de nos jours, une politique de relance par l'investissement public. Il
entreprend en conséquence une politique de grands travaux financés par l'Etat
(canal de Bourgogne, port de Cherbourg), pousse au développement industriel en
faisant appel aux capitaux privés qu'il encourage par l'octroi de primes (Le
Creusot) et, pour stimuler l'économie française, il négocie en 1786, la paix
revenue, un traité de commerce avec l'Angleterre abaissant considérablement de
part et d'autre les taxes douanières.
Evidemment, il faut trouver l'argent et Calonne
emprunte, emprunte, profitant de l'image favorable qu'il offre du royaume,
allant jusqu'à donner à la Cour de Versailles le plus grand éclat possible pour
rassurer d'éventuels créanciers.
Il faut reconnaître que sa politique a des résultats
concrets dont le voyageur anglais Arthur Young témoignera dans le tableau sans
complaisance qu'il fait de la France du temps, mais la spéculation boursière se
déchaîne et loin de réduire le déficit, Calonne le creuse encore plus.
C'est alors que pour augmenter les recettes de la couronne,
Calonne, tout comme Turgot, tout comme Necker, regarde du côté d'une réforme
fiscale. Il avait d'abord pensé réduire les impôts pour favoriser les
investissements privés, mais l'obsolescence du système avait fini par le
convaincre que c'était une refonte complète qui s'imposait. Fin 1786, il
propose en conséquence le remplacement du maquis inextricable de taxes
existantes par un impôt foncier unique, la "subvention territoriale".
C'est taxer de fait les biens des ordres privilégiés et au vu du projet, Louis
XVI s'exclame : "C'est du Necker
tout pur que vous me donnez là !".
Pour faire passer sa réforme, Calonne songe alors à
mettre les privilégiés au pied du mur et, partisan de la concertation, il
obtient fin 1786 la convocation à Versailles d'une "Assemblée des
notables", qui se réunit effectivement début 1787. Hormis quelques voix
raisonnables, c'est un concert de protestations défendant des avantages acquis
historiquement et inaliénables. "Ne
rien lâcher" semble la devise des notables réunis et l'Eglise n'est
pas la dernière à se faire entendre. Le verdict est clair : la réforme est
inapplicable. Calonne a échoué. Il est remercié par le roi en avril 1787.
Louis XVI finit par rappeler Necker. Celui-ci, ne
voulant pas recommencer l'expérience désastreuse de l'Assemblée des notables,
va proposer au roi de convoquer simplement les Etats-Généraux, une procédure
oubliée depuis 175 ans. On connaît la suite…
Karl Marx a dit que l'Histoire s'écrit d'abord comme
une tragédie et se renouvelle en farce. C'est peut-être vrai, mais il s'y
découvre parfois comme des analogies de situation, ce qui ne veut pas dire –
heureusement – que l'issue en soit nécessairement la même.