samedi 16 mai 2020

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La menace des dictatures.




La "voix du peuple", la "parole rendue au peuple" (ce que les politologues qualifient de "populisme") n'est en réalité que l'expression d'une poignée de bruyants démagogues qui se font acclamer en proférant des slogans réducteurs, (du type "y-a-qu'à, faut qu'on"), dont le simplisme paraît directement intelligible pour qui ne dispose que d'une culture politique sommaire.
Dans une perspective de crise, dans une phase de changements profonds qui bouleverse l'équilibre social, fragilise plus encore les précaires et induit des mécanismes de déclassement menaçant les classes moyennes, ce discours est capable de susciter des mouvements de masse dont sauront profiter leurs instigateurs et qui, déstabilisant les structures politiques, seront présentés abusivement comme des révolutions.
Plusieurs cas de figure se dessinent, qui peuvent se recouper.
1. Il émerge au sein du mouvement un leader qui impose son autorité charismatique et se voit désigné "guide".
2. Un groupe organisé porteur d'un projet idéologique prend en main le mouvement et en fait l'instrument de sa prise du pouvoir et de l'hégémonie de son chef.
3. Incapable de s'organiser, miné par les antagonismes de personnes et de doctrines, le mouvement se désagrège, le dernier carré finissant généralement par se joindre aux groupuscules radicaux d'extrême-droite.

Les exemples du premier cas abondent dans l'histoire des nombreux "caudillismes" d'Amérique latine et les succès électoraux récents et inattendus de démagogues confirmés, au sein de vieilles démocraties, s'en rapprochent.
Le second répond à ce que prônait, au XIX° siècle, le révolutionnaire français Auguste Blanqui, quand il chargeait une élite consciente et organisée sous une direction ferme de faire la révolution au nom du peuple. Il a trouvé une illustration au XX° siècle avec Lénine et le parti bolchévik, interprétation très discutable du marxisme, Mussolini et le fascisme, hypertrophie du nationalisme, Hitler et la mise en œuvre d'une doctrine raciste délirante.
Enfin, une désagrégation plus ou moins rapide est intervenue dans le cas de mouvements à l'origine spontané qui, pour diverses raisons, n'ont pas trouvé ou voulu de dirigeants suffisamment habiles ou reconnus (mouvement Poujade, "gilets jaunes " en France).
Il faut remarquer que ce type de mouvements de masse s'enracine dans l'histoire, des millénarismes médiévaux aux sectes politico-religieuses de la révolution anglaise de 1642, de la "sans-culotterie" parisienne de la Révolution française à l'éphémère Commune de Paris minée par des doctrinaires ergoteurs. Dans tous les cas, il s'agit de détruire l'ordre existant, le "système", et de lui substituer un ordre prétendument plus juste. Dans tous les cas (du moins quand il aboutit), il conduit à la dictature d'un seul s'appuyant sur une oligarchie de fidèles qui tirent parti de leur situation de  dominants.
Les processus ici décrits le sont dans le cadre de la civilisation occidentale. Au sein d'autres espaces culturels (Extrême-orient, monde musulman), les analogies ne doivent pas faire perdre de vue le poids d'une histoire différente et d'habitus mentaux liés à un substrat culturel propre. Nous nous inscrivons spécifiquement dans le cadre qu'on peut qualifier d'européo-atlantique.

C'est précisément là que se situe le paradoxe car le populisme est comme un effet pervers de la démocratie représentative libérale puisqu'il repose, dans son principe, sur la souveraineté du peuple et s'installe souvent par l'élection et le suffrage universel. Il s'appuie en fait sur l'un des plus anciens facteurs d'inégalité sociale, la fracture culturelle que les populistes traduisent à leur profit en opposant "le peuple" aux "élites". Les démocrates du XIX° siècle avaient cru la réduire par l'éducation des couches populaires, leur démarche étant relayée par la création des partis politiques, constructeurs d'une conscience citoyenne acquise et bâtie autour de projets idéologiques dont la mise en œuvre était déléguée à des représentants élus. C'est la faillite de ce modèle qui a fait le jeu de la mystification populiste, faisant croire à tout un chacun qu'il était capable de maîtriser les problèmes aussi bien que les membres d'une élite déclarée corrompue, ouvrant ainsi la voie aux démagogues ambitieux qui prétendaient parler au nom de tous.
"Sans les masses, les chefs n'existent pas", écrivait Hannah Arendt, la plus lucide observatrice des populismes du siècle dernier. Face à la crise sociale qui se profile, prenons garde à ce que l'Histoire ne se répète.