Plus les mois passent, plus il apparaît que
l'alternance n'était pas l'alternative et plus se révèle, non seulement
l'absence d'un programme précis et structuré à gauche, mais – plus grave –
l'inexistence d'un réel projet politique. Certes, la campagne de 2012 a été avare de
promesses, mais que reste-t-il de concret des envolées du discours du Bourget
ou de la théâtrale anaphore du débat télévisé ?
Le président Hollande et son gouvernement rouvrent l'un après l'autre
les chantiers entrepris par la précédente mandature et restaurent sous un autre
nom une grande partie des mesures bruyamment supprimées il y a un an pour faire
croire que le changement, c'était alors.
Il serait fallacieux d'attribuer cet alignement à
quelque faiblesse circonstancielle ou au manque de détermination : la cause en
est structurelle, l'option de gauche n'existe plus. Non qu'il n'y ait plus de
discours de gauche ; il est très présent et souvent même fracassant, mais il
vient d'une gauche qu'on nomme tribunicienne, manière euphémique de dire que
posant d'inaccessibles préalables à toute accession au pouvoir, elle n'a pas
réellement l'intention de gouverner.
A quoi tient cet effacement ? En France, à
l'indécision du socialisme, qui a manqué au milieu du XX° siècle, quand il en
était encore temps, le tournant social-démocrate ; en d'autres termes, la
rupture avec les dogmes marxistes et l'acceptation, tant du capitalisme que de
l'économie de marché qu'on s'attache à réguler et non à combattre. Confronté à
un parti communiste fort jusqu'aux années 80 et qui lui avait soustrait son
électorat ouvrier, le parti socialiste (SFIO, puis PS) s'est enfermé dans un discours
ambigu, volontiers radical, contrastant avec sa modération dès qu'il accédait
au pouvoir. Au fond, il n'a jamais clairement rompu avec le projet du
socialisme des origines, révolutionnaire et marxiste, pourtant déjà récusé de
fait à la veille de la guerre de 1914 au sein du mouvement socialiste européen
et que les Bolcheviks russes croiront, non sans quelque suffisance, mettre en place
avec le succès final qu'on connaît. Vu avec le recul de l'Histoire, le
socialisme français n'est pas sorti du XIX° siècle et confronté aux réalités du
XXI°, il ne sait plus quoi dire sinon persister dans une vaine rhétorique. On
reste perplexe quand on constate qu'un important ministre, actuellement en
charge de responsabilités économiques, a obtenu un appréciable succès à la
primaire de son parti en se présentant champion de la "démondialisation".!
Qu'une telle posture, quasi magique, ait rendu cet homme
politique populaire en dit long également sur la cécité de ses électeurs. Ce
qu'on nomme en France "le peuple de gauche" semble majoritairement
enfermé dans un univers mental hors du temps construit sur la base du marxisme
simpliste, jadis diffusé par le parti communiste, et des vieux réflexes venus
de la longue tradition catholique d'hostilité à l'argent. L'anticapitalisme lui
est une seconde nature, ce qui, en soi, serait soutenable s'il s'y ajoutait la
prise en compte des réalités de la situation présente. Or, le capitalisme,
surtout dans sa version néolibérale, a certes beaucoup de défauts mais dans la
perspective des débuts du XXI° siècle, il n'y a rien de crédible à lui opposer
hors une rhétorique creuse. La seule tentative en grandeur réelle de bâtir un
ordre socio-économique sur des bases différentes, le communisme soviétique, a
lourdement échoué et les pays qui s'en étaient inspirés, ou ont radicalement
changé de voie (la Chine), ou ont abouti à des dictatures claniques (Cuba, la
Corée du Nord), quand ce n'est pas à des bouffonneries (le Vénézuela). Hormis
des groupuscules dont le discours ressemble à un disque constamment repassé,
nul ne voit plus dans le marxisme-léninisme une solution.
Que peut alors proposer une gauche d'alternance ?
Poursuivre, au prix de quelques aménagements, dans la direction que suivait
avant elle la droite au pouvoir. En France, l'élection présidentielle de mai
2012 s'est faite sur un unique objectif : chasser Sarkozy de l'Elysée. Une fois
ce but atteint et quand s'est posée la question : "que faire ?", la
perplexité a été telle que plusieurs mois d'inaction ont suivi. A l'automne, la
procédure d'atterrissage a été entamée avec comme inévitable corollaire de
désorienter profondément tous ceux qui avaient cru au changement maintenant. Le
changement se limitait à une substitution de personne.
Cette fois, depuis le discours de Leipzig, les
modalités se précisent. Au libéralisme social de l'ère Sarkozy succède, sous le
nom quelque peu usurpé de social-démocratie (une option aujourd'hui dépassée en
réalité par l'Histoire), un social-libéralisme qui ressemble de plus en plus à
l'ordolibéralisme allemand. François Hollande fait preuve là de lucidité, mais
il va lui falloir un courage et une énergie peu commune pour en convaincre son
électorat, qui croit toujours à l'utopie du socialisme égalitaire et débarrassé
du capital.
L'ordolibéralisme allemand prône un capitalisme
encadré et régulé. Il souhaite ordonner la mondialisation. Il est actuellement
l'une des options les plus crédibles pour contrer la dérive néolibérale et ce
laisser-faire intégral qui a conduit à la crise de 2008. En s'y ralliant, le
président Hollande choisit l'efficacité contre l'utopie, l'entente avec
l'Allemagne, la relance de l'Europe en fédérant la zone euro.
Le problème, c'est que la déception étant dans son
camp à la mesure des espoirs chimériques hier entretenus, d'autres utopies
pourraient prendre la relève. La désespérance est sensible au chant des sirènes
et les sirènes sont des entités maléfiques.
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