lundi 8 juillet 2013

Alternance n'est pas alternative



Plus les mois passent, plus il apparaît que l'alternance n'était pas l'alternative et plus se révèle, non seulement l'absence d'un programme précis et structuré à gauche, mais – plus grave – l'inexistence d'un réel projet politique. Certes, la campagne de 2012 a été avare de promesses, mais que reste-t-il de concret des envolées du discours du Bourget ou de la théâtrale anaphore du débat télévisé ?  Le président Hollande et son gouvernement rouvrent l'un après l'autre les chantiers entrepris par la précédente mandature et restaurent sous un autre nom une grande partie des mesures bruyamment supprimées il y a un an pour faire croire que le changement, c'était alors.
Il serait fallacieux d'attribuer cet alignement à quelque faiblesse circonstancielle ou au manque de détermination : la cause en est structurelle, l'option de gauche n'existe plus. Non qu'il n'y ait plus de discours de gauche ; il est très présent et souvent même fracassant, mais il vient d'une gauche qu'on nomme tribunicienne, manière euphémique de dire que posant d'inaccessibles préalables à toute accession au pouvoir, elle n'a pas réellement l'intention de gouverner.
A quoi tient cet effacement ? En France, à l'indécision du socialisme, qui a manqué au milieu du XX° siècle, quand il en était encore temps, le tournant social-démocrate ; en d'autres termes, la rupture avec les dogmes marxistes et l'acceptation, tant du capitalisme que de l'économie de marché qu'on s'attache à réguler et non à combattre. Confronté à un parti communiste fort jusqu'aux années 80 et qui lui avait soustrait son électorat ouvrier, le parti socialiste (SFIO, puis PS) s'est enfermé dans un discours ambigu, volontiers radical, contrastant avec sa modération dès qu'il accédait au pouvoir. Au fond, il n'a jamais clairement rompu avec le projet du socialisme des origines, révolutionnaire et marxiste, pourtant déjà récusé de fait à la veille de la guerre de 1914 au sein du mouvement socialiste européen et que les Bolcheviks russes croiront, non sans quelque suffisance, mettre en place avec le succès final qu'on connaît. Vu avec le recul de l'Histoire, le socialisme français n'est pas sorti du XIX° siècle et confronté aux réalités du XXI°, il ne sait plus quoi dire sinon persister dans une vaine rhétorique. On reste perplexe quand on constate qu'un important ministre, actuellement en charge de responsabilités économiques, a obtenu un appréciable succès à la primaire de son parti en se présentant champion de la "démondialisation".!
Qu'une telle posture, quasi magique, ait rendu cet homme politique populaire en dit long également sur la cécité de ses électeurs. Ce qu'on nomme en France "le peuple de gauche" semble majoritairement enfermé dans un univers mental hors du temps construit sur la base du marxisme simpliste, jadis diffusé par le parti communiste, et des vieux réflexes venus de la longue tradition catholique d'hostilité à l'argent. L'anticapitalisme lui est une seconde nature, ce qui, en soi, serait soutenable s'il s'y ajoutait la prise en compte des réalités de la situation présente. Or, le capitalisme, surtout dans sa version néolibérale, a certes beaucoup de défauts mais dans la perspective des débuts du XXI° siècle, il n'y a rien de crédible à lui opposer hors une rhétorique creuse. La seule tentative en grandeur réelle de bâtir un ordre socio-économique sur des bases différentes, le communisme soviétique, a lourdement échoué et les pays qui s'en étaient inspirés, ou ont radicalement changé de voie (la Chine), ou ont abouti à des dictatures claniques (Cuba, la Corée du Nord), quand ce n'est pas à des bouffonneries (le Vénézuela). Hormis des groupuscules dont le discours ressemble à un disque constamment repassé, nul ne voit plus dans le marxisme-léninisme une solution.
Que peut alors proposer une gauche d'alternance ? Poursuivre, au prix de quelques aménagements, dans la direction que suivait avant elle la droite au pouvoir. En France, l'élection présidentielle de mai 2012 s'est faite sur un unique objectif : chasser Sarkozy de l'Elysée. Une fois ce but atteint et quand s'est posée la question : "que faire ?", la perplexité a été telle que plusieurs mois d'inaction ont suivi. A l'automne, la procédure d'atterrissage a été entamée avec comme inévitable corollaire de désorienter profondément tous ceux qui avaient cru au changement maintenant. Le changement se limitait à une substitution de personne.
Cette fois, depuis le discours de Leipzig, les modalités se précisent. Au libéralisme social de l'ère Sarkozy succède, sous le nom quelque peu usurpé de social-démocratie (une option aujourd'hui dépassée en réalité par l'Histoire), un social-libéralisme qui ressemble de plus en plus à l'ordolibéralisme allemand. François Hollande fait preuve là de lucidité, mais il va lui falloir un courage et une énergie peu commune pour en convaincre son électorat, qui croit toujours à l'utopie du socialisme égalitaire et débarrassé du capital.
L'ordolibéralisme allemand prône un capitalisme encadré et régulé. Il souhaite ordonner la mondialisation. Il est actuellement l'une des options les plus crédibles pour contrer la dérive néolibérale et ce laisser-faire intégral qui a conduit à la crise de 2008. En s'y ralliant, le président Hollande choisit l'efficacité contre l'utopie, l'entente avec l'Allemagne, la relance de l'Europe en fédérant la zone euro.
Le problème, c'est que la déception étant dans son camp à la mesure des espoirs chimériques hier entretenus, d'autres utopies pourraient prendre la relève. La désespérance est sensible au chant des sirènes et les sirènes sont des entités maléfiques.

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