En novembre
2008, le congrès du PS à Reims donne l'image d'une foire d'empoigne et c'est au
prix d'une manipulation à peine dissimulée des suffrages que Martine Aubry arrache
le secrétariat et écarte Ségolène Royal, que son honorable défaite à l'élection
présidentielle de 2007 semblait tout naturellement désigner pour diriger le
parti.
Quatre ans
plus tard, en novembre 2012,
l'élection d'un président de l'UMP se transforme en
bataille de chiffonniers entre J-F. Copé et F. Fillon, où tous les coups
paraissent permis et où la fraude à
grande échelle vide de tout sens le vote des militants. Moins bien armé d'un
appareil dirigeant que ne l'est le PS, l'UMP fait naufrage.
Dans un cas
comme dans l'autre, l'âpreté du combat s'est limitée à l'espace restreint de ce
qu'on nomme la "classe politique", la société civile (autrement dit
la masse des électeurs) assistant éberluée à ces échauffourées et oscillant,
selon ses convictions, entre exaspération, indifférence ou amusement. On avait
parfois l'impression étrange d'être au théâtre et rien mieux que cette prise de
distance ne souligne la frontière qui semble s'être établie entre l'ensemble
des citoyens et les hommes et les femmes qui, selon les règles de la démocratie
représentative, sont censées être mandatés par eux pour conduire l'Etat..
Devenue une sorte de monde à part, la "classe politique" obéit à ses
propres règles et se comporte en société autonome..
Une classe
politique, quelle que forme qu'elle prenne, a toujours existé, même sous
l'ancienne monarchie car l'action politique exige une expérience et un
savoir-faire qui (qu'on le veuille ou non) relève du professionnalisme. Si
cette compétence fait défaut, il va s'affairer dans l'ombre une cohorte de
secrétaires et d'agents qui seront les vrais acteurs et constitueront une
classe politique par défaut. En démocratie représentative, la classe politique
est naturellement composée d'élus appelés à rendre compte. Elle est donc en
principe ouverte et en constant renouvellement.
C'est
précisément ce qui ne se produit plus vraiment en France et qui semble à la
source de cette autonomisation, qui fait de la classe politique un espace
social propre ayant ses règles de recrutement, ses modes de relations, ses
codes qui la distinguent, un peu comme il en était autrefois de la noblesse. On
y discerne même des prodromes de l'hérédité quand on voit s'y succéder, de
génération en génération, des Joxe, des Jeanneney, des Mitterrand, des
Poniatowski, des Sarkozy, des Le Pen ou des Delors (Marine Aubry). Plus que
dans d'autres pays, la professionnalisation mène à des carrières qui s'étalent
sur toute une vie : combien de nos élus, entrés en politique à moins de trente
ans, en sortent octogénaires, la mise à la retraite d'office n'existant pas
dans ce singulier métier et le Sénat (comme son nom l'indique) pouvant faire
office d'étape finale aussi prestigieuse que confortable. On compte peu
d'états, dans le monde démocratique, où le ministre des Affaires étrangères
peut se targuer d'avoir été Premier ministre il y a bientôt trente ans et de
n'être jamais sorti depuis ce temps lointain de la scène. Il ne faut pas être
grand clerc, dans ces conditions, pour supputer que s'ils connaissent
parfaitement les arcanes du monde politique, ces professionnels de longue durée
confinés des décennies dans le monde clos des cabinets ministériels ou des
hémicycles parlementaires risquent d'avoir un peu perdu le contact avec les
réalités quotidiennes. Ne s'est-on pas gaussé parfois de ces ministres qui
ignoraient le prix du ticket du métro parisien, sinon de la baguette de pain ?
A quoi tient
cette singularité française ? On peut invoquer, sur la base de précédents
historiques, une tradition. Au XIX° siècle, Adolphe Thiers est pour la première
fois, à 35 ans, ministre en 1832 ; il dirige un gouvernement en 1840, avant de
tenir le rôle de chef de l'état après la chute du Second Empire et de ne
quitter le pouvoir qu'en 1873. Georges Clemenceau entre en politique en 1870 à
29 ans et n'en sort qu'en 1920 après avoir été mêlé à tous les grands
événements de la IIIème République, dirigé la France en guerre et
conduit la Conférence de la paix de Versailles. Edouard Herriot devient maire
de Lyon à 33 ans, en 1905, et c'est contraint par la maladie qu'il abandonne la
présidence de l'Assemblée nationale en 1954…Il s'ajoute cependant à cette
pratique, à l'heure actuelle, un facteur aggravant qui tient à la nature même
des institutions, et qui a transformé la classe politique de la Vème
République en milieu comparable à l'état de nature décrit par Hobbes, où "l'homme est un loup pour l'homme" !
Le régime qui
régit la France (surtout depuis l'introduction du quinquennat en 2000) est de facto une monarchie élective :
l'objectif suprême est d'y devenir roi. Il faut pour cela s'imposer
préalablement sans contestation ni rivaux comme le premier au sein des grands
partis qui ont vocation à gouverner à droite, à gauche et circonstanciellement
au centre. La lutte est nécessairement féroce et sans merci et elle a lieu à
l'intérieur même du mouvement dont on entend assurer la future victoire. La
violence de la compétition rend difficile la vieille et classique méthode qui
consistait à faire désigner les candidats par les instances dirigeantes du
parti, le résultat risquant toujours de se faire contester par les ajournés.
L'idée s'est donc imposée de les faire élire par les militants, ce qui
introduit un processus démocratique apparemment irréfutable. On a décoré cette
démarche du nom de "primaires", à l'américaine.
La formule
n'est pas sans risque. Elle commence par mettre en lumière les divisions alors
qu'on veut donner l'image de l'unité et comme tout processus électoral, elle
peut aboutir à un résultat si serré que la légitimité du vainqueur en est
fragilisée. Elle conduit aussi à la formation de factions, des coteries se
constituant autour de chacun des prétendants en vue du partage futur des
faveurs espérées quand le champion aura accédé au trône. Elle ouvre enfin la
porte aux manipulations et aux fraudes, d'autant plus aisées à pratiquer que
ces élections officieuses ne bénéficient pas du sévère encadrement légal qui
accompagne les consultations publiques.
Le Parti
socialiste a été le premier à mettre en œuvre cette procédure dans ses congrès,
la solide organisation de son appareil rendant facile les manœuvres propres à
orienter – sinon à corriger – les votes militants en fonction de la ligne
définie par les instances dirigeantes. Surprises en 2006 par la manière dont
Ségolène Royal avait su tirer parti du dispositif à son profit, elles ont su
l'évincer en 2008 et faire en sorte que Martine Aubry prenne en main le parti.
Un plan bien construit devait alors être mis en œuvre, visant à propulser
Dominique Strauss-Kahn comme candidat au pouvoir suprême en 2012, l'onction
démocratique lui étant réservée par une seconde "primaire" ouverte
cette fois à tous, militants et sympathisants, et bien préparée par une
préalable campagne médiatique (moyen infaillible de faire taire les réticences
d'une gauche du parti peu séduite par le directeur du FMI). Ce programme
s'étant écroulé pour les raisons qu'on sait, le PS, sauf à avouer la manœuvre,
se voyait obligé de maintenir la "primaire" qui, malgré ses efforts,
écartait Martine Aubry au profit de François Hollande, qui allait gagner
l'élection présidentielle.
Par quelle
aberration la droite UMP, après sa défaite du printemps 2012, a-t-elle décidé
de s'inspirer de la méthode de ses adversaires alors même que sa mise en œuvre
en avait précisément mis en lumière les faiblesses ? Privée de son chef naturel
par le retrait de Nicolas Sarkozy, elle voyait s'affronter en son sein deux
personnalités dont tous connaissaient l'antipathie réciproque. Elle n'ignorait
pas non plus combien les violences verbales de la campagne des
"primaires" socialistes avaient un moment déstabilisé un parti
infiniment mieux organisé que l'UMP, fragile coalition récente née plus des
circonstances que d'un commun projet. Et à bien regarder, le PS s'était
d'ailleurs bien gardé de poursuivre dans cette voie hasardeuse lors du choix de
son nouveau Premier secrétaire, désigné l'été 2012 par une décision prise en
haut que les militants n'avaient plus eu qu'à ratifier. Rien n'y a fait, et le
résultat a été suicidaire.
Comment ne pas
y voir l'aveuglement d'une classe politique enfermée dans sa bulle, incapable
de peser les conséquences de ses décisions en fonction des réalités objectives et
plus préoccupée du cours des carrières personnelles que du bien public ou même
de l'avenir des mouvements qu'on prétend y incarner ? Comment ne pas rester
sidéré, devant cet hubris, face à la
fureur des affrontements d'égos et d'une démarche allant jusqu'au bout de sa
logique folle, c'est à dire l'autodestruction ? Aujourd'hui la droite, mais il n'est
pas certain que sans sa victoire électorale, le PS n'aurait pas connu les mêmes
dérives et qu'il ne les connaîtra pas plus tard. Car le mal est plus profond et
la colère qui monte de l'électorat face à cette pitoyable tragicomédie révèle
clairement le décalage, sinon la fracture entre la classe politique et la
société civile. Or, en régime démocratique, les membres de la classe politique
sont les représentants de la société civile : quelle légitimité représentative
peut survivre au lamentable spectacle qu'a donné la rivalité Copé-Fillon ? Sans
compter que l'affrontement a révélé au grand jour les divergences et les
fêlures et qu'à la différence du PS, il n'existe pas à droite d'autorité
suffisante pour, sitôt le tumulte apaisé, jeter sur ce qui est soudain apparu à
nu un pudique manteau de Noé…
L'écoeurement
et la colère des citoyens appellent dans un premier temps la désaffection. Ils
risquent dans un second de donner prise aux discours populistes, dont la
dénonciation des élites semble trouver démonstration. Et où tout cela
conduit-il ?
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