Il a pu paraître étrange que le président Hollande ait
choisi Leipzig et une allocution devant un public étranger pour annoncer ce qui
sera retenu, selon toute probabilité, comme le tournant décisif de son
quinquennat. Et cela une semaine après une conférence de presse assez terne,
hormis des propositions sur l'Europe qui – déjà un signe – ne faisaient que
reprendre celles que son prédécesseur avait formulées dès octobre 2008 devant le
Parlement européen.
Mais pouvait-il en être autrement ? Nous évoquions
ici, dès fin 2012, le virage qui s'amorçait avec le pacte de compétivité et
l'esquisse d'une continuité avec la politique précédemment menée. En assumant
pleinement, à Leipzig, une orientation sociale-libérale plus proche de Tony Blair
et Gerhardt Schröder (nommément cité) que des illusions que persiste à
entretenir son électorat en France, François Hollande mettait ce dernier (et le
PS avec lui) face au fait accompli tout en en amortissant l'effet.
Il est remarquable de constater combien les médias de
gauche ont minimisé ces déclarations, se limitant à les présenter comme une
sorte de politesse à l'égard de ses hôtes du SPD ou en en faisant un
compte-rendu édulcoré. Alors qu'il s'agissait d'un événement politique majeur, "Le
Monde" du 25 Mai le reléguait en page 4, sans mention de l'article dans
son sommaire de première page et sous un titre lénifiant tiré du discours et
qui n'engageait pas à grand-chose : "le
réalisme, ce n'est pas le renoncement à l'idéal". Certes, mais on
aurait pu ajouter : l'idéal, c'est la perfection, donc l'inaccessible. De façon d'ailleurs moins dérobée, le journal
reconnaissait qu'"une partie de
l'intervention du chef de l'Etat semblait autant destinée à la gauche française
qu'au public allemand". O combien !
La convaincra-t-il ? Déjà, au sein du PS, des voix
s'élèvent, parlent de trahison. Mélenchon n'a rien dit, mais on ne perd rien
pour attendre. Surtout, une masse de gens qui ont voté Hollande en Mai 2012, imaginant
vraiment que le changement, c'était maintenant, ne comprend plus et se sent une
nouvelle fois flouée. Mais c'est fait, Hollande l'a dit, il devient enfin un
président normal.
Normal au sens que prend ce mot dans le cadre de la
présidence quinquennale, c'est-à-dire un homme seul qui doit se montrer
déterminé, oublier qu'il fut un chef de parti surtout quand ce parti persiste à
formuler le langage de l'utopie et le déni des réalités, se montrer
pragmatique, ne pas s'enfermer dans la vaine vindicte à l'égard de son prédécesseur
dont, qu'il le dise ou non, il poursuit l'action entreprise et dont il doit
imiter la fermeté face à la rue. Ainsi, il ne cédera pas face aux centaines de
milliers de manifestants hostiles au "mariage pour tous" et il aura
raison, non parce que cette réforme était nécessaire, mais parce qu'elle a été
votée. Il pourra ainsi résister aux prévisibles centaines de milliers de
protestataires qui défileront lors de la future réforme des retraites qui,
contredisant les propos définitifs du PS de 2010, portera de-facto l'âge de la cessation d'activité à 65 ans, sinon plus. Il
se donnera le courage de réformer la politique sociale pour sauver ce qui peut
l'être, de simplifier l'administration et de réduire le nombre des
fonctionnaires.
Avec quelle majorité ? Là est toute la question.
Déconcerté, déstabilisé, le parti socialiste risque de se diviser. Une
dissidence semblable à celle qui, il y a 55 ans, vit naître le "parti
socialiste autonome" contre la politique algérienne de Guy Mollet est
possible. Contre elle, le président dispose d'une arme absolue, la menace de
dissolution. Vu l'état des lieux, maints députés socialistes n'ont guère de
chance de retrouver le Palais-Bourbon et cette perspective rend docile tout élu
récalcitrant. Mais ce choix conduirait cependant François Hollande à envisager éventuellement
de se constituer une autre majorité, avec le risque de cette cohabitation que
le quinquennat façon Jospin devait à jamais écarter.
Sera-t-il capable de le faire s'il se découvre acculé
? C'est au courage qu'il manifestera dans les mois qui viennent qu'on jugera si
on l'a quelque peu sous-estimé et si un authentique homme d'Etat ne se cachait pas
derrière celui que d'aucuns surnommaient déjà "pépère".
Comme l'énonçait (un peu vite) Lamarck : la fonction
crée l'organe.
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