mercredi 15 mai 2013

Sur l'escamotage d'une promesse de campagne.





On prête au président Hollande l'intention d'introduire dans la Constitution plusieurs de ses propositions de campagne, mais il en est une qui s'est pour ainsi dire escamotée, le droit de vote des étrangers aux élections locales. On a le sentiment que le pouvoir redoute les réactions d'une opinion qui, nonobstant les sondages, resterait en réalité hostile au projet. Après les remous provoqués par le mariage-pour-tous, ce serait prendre le risque d'apporter un nouvel argumentaire à l'opposition et, pire encore, à une extrême-droite déjà en pleine progression.
Faut-il voir derrière ces hésitations la prise de conscience d'une réalité profondément enracinée dans l'histoire et qu'on pourrait définir, en paraphrasant De Gaulle, comme "une certaine idée de l'identité française".
La précédente mandature avait tenté un débat sur l'identité nationale, aussitôt pollué par les accusations mêlées de nationalisme, sinon de racisme, de complaisance à l'égard des thèmes du Front national quand ce n'était pas d'islamophobie rampante. En fait, le climat d'hystérie anti-Sarkozy rendait le débat impossible et finissait par occulter l'essentiel : il existe en France un puissant sentiment identitaire, l'un des plus consistants d'Europe et un rien suffit à le réveiller. Il est piquant de voir certains qui s'insurgeaient naguère  contre l'idée même d'identité nationale s'enflammer aujourd'hui et crier au suicide culturel quand l'Université envisage de diffuser certains cursus scientifiques dans ce global english qui est devenu, pour la recherche, l'équivalent du latin il y a trois siècles : la lingua franca internationale.
La forte perception unitaire du peuple français a de très lointaines racines historiques. La France est l'un des plus anciens états d'Europe et être Français fut d'abord (et longtemps) être sujet du roi de France. Dès le XVI° siècle, sinon le XIV°, la règle voulant que tout enfant né dans le royaume soit sujet du roi a fondé le droit du sol, toujours appliqué. Celui-ci s'est avéré une puissante machine à assimiler les apports étrangers multiples et il a fait historiquement (et contrairement à des affirmations partisanes) du peuple français l'un des moins xénophobes du monde. Non seulement l'étranger a été le bienvenu, mais il s'est totalement intégré dès la première génération au point qu'il n'est pas rare de le voir accéder à de hautes fonctions.
Sous l'Ancien Régime, la France a souvent été gouvernée par des personnalités non-françaises de naissance, à commencer par ces reines-régentes que furent Catherine de Médicis ou Anne d'Autriche. Cette dernière confia de considérables responsabilités au cardinal Giulio Mazzarini et Louis XVI n'hésita pas à faire contrôleur général des finances (et pratiquement premier ministre) le Suisse Jacques Necker.
Après la Révolution, comment ne pas remarquer que les parents de Napoléon Bonaparte avaient été dans leur jeunesse sujets génois, tout comme le comte Corvetto, ministre des finances de Louis XVIII ou les parents de Léon Gambetta. Sous la IIIème République, William Henry Waddington, qui fut Premier ministre en 1879, était né d'un père écossais et, beaucoup plus près de nous, Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa, fils d'un immigré hongrois, est devenu président de la République ! Au même moment, trois ministres attestaient des origines étrangères, marocaine pour Rachida Dati, algérienne pour Fadela Amara et sénégalaise pour Rama Yade. Dans l'actuel gouvernement de Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici a des origines roumaines, Najat Vallaut-Belkacem, Yamina Benguigui et Kader Arif ont des parents maghrébins et Fleur Pellerin, enfant adoptée, est de naissance coréenne. La tradition se prolonge donc.

Pourquoi dès lors la question du droit de vote des étrangers grippe-t-elle ? Parce que dans l'inconscient collectif, l'étranger n'est pas un immigré, mais un expatrié.
Précisons. L'immigré est considéré comme ayant fait un choix, celui de se fixer dans le pays où il est parvenu et d'en devenir citoyen. Cette acquisition de la citoyenneté se fait par la naturalisation. Celle-ci, qui ouvre à tous les droits dont disposent les nationaux, ne suppose a-priori nulle volonté de retour au pays de ses origines, sinon dans une démarche de visite, de pèlerinage sentimental. En revanche, l'expatrié demeure un étranger dont le séjour, même s'il se prolonge, n'a pas pour vocation de devenir pérenne. S'il souhaitait rester, il entreprendrait les démarches nécessaires pour se faire intégrer. L'opinion commune ne voit donc aucune raison légitime de lui permettre d'intervenir dans les mécanismes démocratiques d'un peuple auquel il n'appartient pas en tant que citoyen et dont le devenir lui est extérieur. L'argument que par sa présence, son travail, il participe de la vie de la nation hôte ne convainc pas : ayant personnellement passé quinze années de ma vie à travailler comme Français expatrié dans deux pays différents, il ne me serait jamais venu à l'esprit de revendiquer un droit quelconque à participer à la vie politique de ces nations alors que je votais en France, dont j'étais citoyen.
Il s'agit donc d'un débat biaisé où les arguments idéologiques entrent en conflit avec le sens commun, qui commande très généralement les réactions de l'opinion publique majoritaire. S'il paraît normal – droit du sol s'imposant – que les enfants d'étrangers acquièrent automatiquement la citoyenneté française et, devenus majeurs, bénéficient de ses droits, il semble contestable de l'accorder à des parents ayant conservé leur nationalité d'origine. Certains sont là depuis longtemps, objectera-t-on, mais alors, pourquoi n'ont-ils pas choisi la voie de l'intégration par la naturalisation ? Contrairement à une idée reçue, celle-ci s'acquiert plus facilement qu'on le dit. Un rapport de l'INSEE de 2006 montre qu'entre 1999 et 2005, un million d'étrangers ont reçu la nationalité française et les modalités se sont même assouplies depuis cette date.
Les politiques qui défendent le principe du vote des étrangers obéissent à deux modes de motivation (qui parfois s'entrecroisent). L'un, assez trivial, est un calcul électoraliste à court terme. L'autre est une vision cosmopolite et assez iréniste de la démocratie qui, prenant appui sur l'ouverture à la participation électorale des citoyens de l'Union européenne,( démarche d'essence différente puisque l'Union est censée tendre vers une entité politique commune), veulent étendre cette prérogative à la totalité du genre humain. En dehors des objections formulées ci-dessus, les conditions propres à la France actuelle ouvriraient au risque de l'apparition de mouvements communautaires et nous retrouvons là la puissante tradition dont nous faisions état en commençant : la France est assimilatrice et ouverte à tous sous condition d'adhérer pleinement aux valeurs qui ont, depuis des siècles, exprimé l'identité culturelle française. C'est ainsi et il est impossible de n'en pas tenir compte.
François Hollande l'a compris. Soulever ce problème serait non seulement un nouveau facteur de clivage de la société, mais ce serait offrir un formidable argumentaire à un populisme de droite qui n'en a nul besoin et qui est déjà suffisamment menaçant pour qu'on ne lui donne pas l'occasion de le devenir plus encore.

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