Le vrai sens des mots.
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au sens exact des mots communément employés peut être très éclairant, parfois
même explicatif. Trop de termes sont devenus approximatifs, avec un sens si
dérivé qu'on déforme ou obscurcit le propos. Ainsi en est-il de "racisme",
dont on oublie qu'il désignait à sa création, au XIX° siècle, une idéologie
fondée sur des considérations se voulant scientifiques qui postulaient
l'existence de races humaines aux capacités inégales. Démenties depuis
longtemps, ces théories n'ont plus aucun défenseur et ce qu'on nomme
"racisme", en France, actuellement, est plus un condensé de
xénophobie, d'incompatibilité culturelle, de méfiance (et parfois de bêtise)
que d'affirmation idéologique. L'extension du terme est si excessive qu'on en
vient à proférer des absurdités du type "racisme anti-jeune" ou
"racisme anti-musulman", comme si ces catégories relevaient d'une
définition ethnique!
Mais
l'étude d'un autre mot, "révolution", peut s'avérer édifiante à la
lumière de l'histoire récente. En 1989, quand on célébrait le deux centième
anniversaire de la Révolution française, le grand linguiste Alain Rey s'y était
attelé*. Venu du latin volvere, qui
induit l'idée d'une courbe, d'un enroulement, "révolution" apparaît
au Moyen-âge, en français et en anglais, dans le langage des astrologues et des
astronomes (on ne fait pas à l'époque la différence) : il désigne le mouvement
cyclique d'un astre et quand le progrès de la science, avec Copernic et
Galilée, aura permis d'y voir plus clair, il s'identifiera à une courbe fermée,
l'orbite des planètes autour du Soleil. Le sens initial du mot révolution
implique donc un mouvement qui ramène à son point de départ.
C'est
ainsi qu'il entre en politique dans la langue anglaise, au XVII° siècle, sous
la plume d'Edward Hyde, comte de Clarendon, qui, dans son "Histoire de la Grande Rébellion et des
guerres civiles en Angleterre", (qui rend compte de ce que nous
appelons volontiers la première révolution anglaise, celle qui renverse la
monarchie et porte au pouvoir Oliver Cromwell), parle de "révolution"
pour désigner... la restauration de la royauté par Charles II, autrement dit,
le retour à la situation antérieure. Les événements tumultueux des années
1640/1650 seraient donc comparables au cycle d'un astre qui, au terme d'un long
parcours, revient au point d'où il était parti. En 1660, Thomas Hobbes est très
clair quand il écrit :"J'ai vu dans
cette révolution un mouvement circulaire du pouvoir souverain"**.
Même
interprétation pour qualifier, toujours en Angleterre, la déposition de Jacques
II en 1688. Cette fois, le mot devient officiel, la "Glorieuse Révolution",
qui a permis au Parlement d'écarter un souverain tenté par l'absolutisme et
converti au catholicisme a restauré, cette fois, les traditions du gouvernement
parlementaire patiemment construites depuis le XIII° siècle. Là encore, il
s'agit d'un retour aux sources, le rétablissement d'un état antérieur mis à mal
par un pouvoir transgressif. C'est alors que spécialement en français, le mot
connaît une extension de sens qui introduit une idée de fracture, véritable
inversion puisque au delà de l'acception étymologique impliquant un cycle se
refermant sur lui-même, les auteurs français (Montesquieu, Mably, Diderot)
conçoivent un modèle clivant, une rénovation, véritable projection en avant
dans un inconnu à construire. Les événements d'Amérique et l'institution de la
première démocratie moderne viendront confirmer cette interprétation. C'est
tout naturellement que les nouveautés de 1789 et l'affirmation de la souveraineté
du peuple seront donc d'emblée qualifiées de "révolution". La
révolution est devenue une rupture de la continuité historique et cette
définition va désormais prévaloir.
Mais
à y regarder de plus près, le sens initial ne garde-t-il pas sa pertinence? Considérons
la Révolution française : au terme de dix années de tumulte et de violence, le
régime que Bonaparte met en place sous le Consulat ne serait-il pas un Ancien
Régime amélioré? Certes, plus de droit divin, plus de société d'ordres et de
privilèges divers, mais en créant une organisation politique très centralisée
s'appuyant sur une administration efficace, la république consulaire ne
réalise-t-elle pas ce que la royauté avait rêvé de faire sans y parvenir, le
pouvoir royal étant constamment entravé par les reliquats du passé féodal et
les autonomies diverses? En ce sens, le rétablissement, avec l'Empire, d'un
souverain héréditaire est même un point d'orgue! Certes, demeure l'apport
idéologique de la Révolution, la souveraineté du peuple, germe de démocratie,
la Déclaration des droits de l'homme, fondement du libéralisme, mais comme l'a
montré François Furet***, il faudra presque un siècle pour que ces principes
soient réellement mis en oeuvre, sous la III° République, dans les années 1880.
En résumé, on pourrait lire la crise révolutionnaire de la fin du XVIII° siècle
comme un mouvement cyclique déguisé et l'aboutissement des idées nouvelles
prônées en 1789 comme un long cheminement historique étalée sur quatre
générations. On est loin d'une brutale rupture.
Les
révolutions du XX° siècle ne feraient-elles que confirmer cette lecture? Qu'en
est-il de la révolution bolchevique russe de 1917, qui prétendait instaurer le
communisme et la société sans classe? Au terme de presque trois-quarts de
siècle, le système soviétique s'est comme évaporé et nous avons vu revenir
l'entreprise privée et les hiérarchies sociales. Mieux, 70 ans de propagande
anti-religieuse au sein d'un état se proclamant athée a abouti à un réveil du
christianisme orthodoxe. Les églises sont pleines, on bénit les avions de
combat et on introduit même le concept de Dieu dans la nouvelle constitution.
D'ailleurs, à bien y regarder, le régime du président Poutine, ressemble étonnamment à ce tsarisme constitutionnel
mis en place par les ministres Witte et Stolypine après les troubles de 1905.
Même le chef de l'Etat, s'il n'est plus héréditaire, est à présent installé
pratiquement à vie... N'est-ce pas là un mouvement cyclique nous ayant ramené
au point de départ?
Et
que dire de la révolution maoïste chinoise, décidée non seulement elle aussi à
mettre en place le communisme, mais allant jusqu'à vouloir rompre avec des
millénaires de traditions culturelles considérées comme des vieilleries? Mao à
peine mort, on a vu se réinstaller un capitalisme particulièrement dynamique
tandis que le pouvoir, conservant les dispositions autoritaires et
ultra-centralisées du régime révolutionnaire, retrouvait des pratiques
rappelant les séculaires traditions impériales justifiées par cette éthique
confucianiste que Mao avait voulu éradiquer. Là aussi, la pérennité du mandat
du chef de l'Etat ajoute à la comparaison avec le passé et fait penser à un
mouvement cyclique.
Les
révolutions ne sont pas des ruptures, mais plutôt des réajustements intervenant
quand les institutions se sclérosent. On ne fait jamais table rase, l'histoire
n'avance pas par bonds et les changements apparaissent au terme de longues
évolutions qui ne renient jamais complètement un substrat culturel construit de
siècle en siècle. Comme quoi, si l'on veut rester lucide, le vrai sens des
mots, leur acception étymologique sont toujours à considérer. Les dérives langagières
s'avèrent particulièrement toxiques.
*.
A.Rey. "Révolution. Histoire d'un mot". 1989.
**
Thomas Hobbes. "Behemoth" IV° dialogue. 1660
***
François Furet. "Penser la Révolution française". 1978.
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