mardi 1 décembre 2020

le tournant du XXI° siècle.

 

Le tournant du XXI° siècle.

 

Le XVIII° siècle est certes en Europe le temps des Lumières et de la philosophie, mais c'est aussi un tournant essentiel de l'histoire économique : l'institution du capitalisme libéral.s

Depuis la fin du Moyen-âge où il s'était progressivement mis en place parallèlement au développement de l'économie de marché, le capitalisme naissant s'était affirmé sous l'égide d'un pouvoir royal dont il était contemporain. C'est en effet à partir du XV° siècle que se construisent en Europe les états monarchiques qui imposent leur autorité aux vestiges de l'ordre féodal. C'est naturellement que ceux-ci s'instituent protecteurs d'activités génératrices de richesses, d'autant qu'on pense, à l'époque, que la puissance des royaumes se mesure à leur capacité à accumuler du numéraire en exportant des marchandises et en limitant les importations et que cette pratique suppose le développement interne des forces productives. En France, on peut voir sous Louis XIV l'apogée de ce système avec la politique du ministre Colbert, qui énonce  que "les compagnies de commerce sont les armées du roi et les manufactures ses réserves".

Aussi efficace soit-elle apparue, cette combinaison plaçait le capitalisme sous tutelle étatique et bridait ses initiatives en subordonnant le dynamisme des intérêts privés à l'intérêt collectif qu'était censé incarner l'état royal. Aussi, lors du grand mouvement d'émancipation revendiquant la liberté et l'affranchissement de l'individu qui traverse le XVIII° siècle, le monde économique vise lui aussi à l'indépendance. En se dégageant de toute subordination au pouvoir politique, le capitalisme libéral se donne le moyen de n'obéir qu'à sa logique propre : l'initiative privée en quête de profits, l'accumulation d'un capital financier qu'on peut réinvestir pour accroître le volume des affaires, enfin, la rémunération salariée du travail. Il crée ainsi les conditions d'une croissance productiviste exponentielle qui va générer un développement économique sans précédent et doter les sociétés occidentales d'un niveau de vie jamais atteint, reposant sur une consommation toujours accrue. Son rapport à l'Etat a pris la forme d'une sorte de compromis, facilité du fait que ce dernier s'est lui aussi assoupli sous la forme des démocraties représentatives : l'Etat soutient l'action des forces économiques et n'intervient (modérément) que pour faire respecter les règles d'un bon fonctionnement ou le maintien de la paix sociale.

Ce dispositif a fonctionné presque trois siècles quand, à l'aube du XXI°, une série de problèmes se sont brutalement posés.

D'une part, dans le sillage des formidables progrès techniques engendrés par la révolution numérique et suite à l'échec sans appel des modèles alternatifs s'inspirant de l'idéologie socialiste du XIX° siècle, le système s'est emballé à l'appel de théories radicales poussant le libéralisme à ses extrêmes limites. La mondialisation néolibérale, après d'indiscutables succès, s'est révélée génératrice de désordres, de crises, d'explosion des inégalités et a vu se constituer de gigantesques monopoles asphyxiant toute concurrence et s'avérant plus puissants que les états eux-mêmes. Cette dérive a d'autre part coïncidé avec l'émergence de périls mettant en cause jusque l'avenir de l'humanité : dérèglement climatique, épuisement des ressources naturelles, doublement de la population mondiale en l'espace de trois générations, et il a bien fallu convenir que la conduite de l'économie productiviste en était largement la cause (émission de gaz à effet de serre, exploitation démesurée de la nature, absence de régulation remplacée par la course effrénée au profit à court terme). A cela, s'est ajoutée l'énorme perturbation de l'épidémie de Covid 19. La perspective d'un réexamen de fond s'est insidieusement imposée parmi les plus lucides des gestionnaires du capitalisme mondial.

 

Il faudrait être plus attentif aux débats du forum annuel de Davos, en Suisse, où se rencontrent grands patrons, économistes, responsables politiques qui constituent l'élite du monde économique. C'est là qu'a percé le thème du great reset, expression qu'on traduit un peu lourdement comme la "grande réinitialisation". Officiellement, il s'agit d'une remise à plat du système monétaire mondial et de la recherche d'orientation pour résoudre la question des dettes, mais derrière, d'autres préoccupations se profilent qui se résument dans le discours introductif : "afin d'assurer notre avenir et de prospérer, nous devons faire évoluer notre modèle économique et placer les humains et la planète au cœur d’une création de valeur mondiale. S'il y a une leçon essentielle à tirer de cette crise, c'est que nous devons placer la nature au cœur de notre mode de fonctionnement. Nous ne pouvons tout simplement pas perdre plus de temps". En fait, le capitalisme prend en compte l'écologie et envisage donc de rompre avec la croissance productiviste qui avait caractérisé les siècles de l'ère libérale.

C'est un véritable changement de civilisation qui s'annonce là, un formidable ébranlement pour les peuples abreuvés depuis un siècle aux facilités et au toujours-plus des sociétés de consommation. C'est la promesse de convulsions sociales car, évidement, ce sont les plus modestes et les plus précaires qui seront les premiers touchés. Pour mener à bien les mesures de l'écolo-capitalisme, en garantir les profits et contenir la contestation, il faut de nouveau un état fort. Cela suppose un nouveau pacte entre l'économique et le politique où celui-ci reprend la main. Le nouveau capitalisme doit être prêt à accepter de servir les intérêts et les plans de l'Etat en échange de sa protection et de son appui. Le modèle existe déjà : en Chine.

Nous entrons sans trop nous en apercevoir dans un remaniement aussi important que le fut le tournant libéral du XVIII° siècle, mais en sens inverse. L'ennui, c'est que le libéralisme politique sombre avec son homologue économique. L'état autoritaire revient et il sait comment obtenir la docilité des populations : par la peur. Dans un monde ultra-surveillé grâce aux instruments qu'offre le progrès technique, nul ne pourra se dérober. La peur fait taire les récriminations et les révoltes : il suffit de voir combien même les Français, réputés pour leur indiscipline, se sont pliés aux contraintes générées par la pandémie de 2020 pour s'en convaincre.

1 commentaire:

  1. Un peu trop indigeste pour ma vieille cervelle !














    un peu trop indigeste pour ma vieille cervelle !

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