mardi 29 décembre 2020

 

Quelle alternance au socialisme?

 

Nous évoquions dans la précédente prestation le risque menaçant de dérives politiques autoritaires, il se nourrit aussi du véritable collapsus qui affecte, en particulier en France, la pensée de gauche. Née dans le sillage des Lumières, celle-ci se condense dans la devise de la République : liberté, égalité.

Liberté d'abord : le transformation du sujet en citoyen que proclame la Révolution française en fait un mot-emblème. Elle est le synonyme d'émancipation, elle se formule dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle se concrétise dans la démocratie libérale représentative qui s'instaure progressivement tout au long du XIX° siècle.

Egalité ensuite et là, des ambiguïtés surgissent. La déclaration de 1789 est claire, il s'agit d'égalité en droit, autrement dit de mettre un terme aux hiérarchies de naissance des sociétés d'ordres. Mais dès les années 1830, l'idée d'une transformation sociale abolissant les inégalités de fortune et de condition paraît. "Les révolutions sociales ont pour but de changer la base même de la société", écrit le publiciste républicain Laponneraye en 1835. Cette ambition coïncidant avec les effets de la révolution industrielle et la formation du prolétariat ouvrier, le projet d'institution d'une justice sociale qui constituerait la véritable égalité va se concrétiser dans le socialisme et, au tournant du XIX° siècle, cette inflexion va se trouver un théoricien et un concepteur de génie en la personne de Karl Marx.

Insensiblement, une fissure apparaît donc entre l'idéal de liberté individuelle et l'exigence d'égalité sociale. L'exercice de la liberté souligne nécessairement les inégalités liées tant à la diversité des personnalités et des capacités qu'aux conséquences de la condition sociale. Vouloir le corriger va devenir l'objectif de la pensée de gauche et là, les méthodes envisagées vont diverger : ou promouvoir une nouvelle révolution visant à instituer une société égalitaire, ou tenter le compromis entre le libéralisme (issu de la Révolution française de 1789) et le combat contre les inégalités par la mise en place d'une série de réformes. Le XX° siècle va être traversé par cette double expérience.

 

Qu'en est-il en ce début de XXI° siècle? Le premier constat est que le modèle révolutionnaire a échoué. Karl Marx avait admirablement analysé le capitalisme libéral des années 1860 et fondé une philosophie de l'histoire sur la base d'une théorie de la lutte des classes appliquée aux conditions sociales de son temps, en Europe de l'Ouest. C'est ailleurs, dans un autre contexte, que des disciples peu fidèles tentèrent l'aventure de la révolution prolétarienne, dans un cadre sans grand rapport avec les schémas marxiens, et installèrent en fait de sociétés "sans classe" prétendument collectivistes la dictature d'une nouvelle oligarchie, celle des dirigeants d'un parti unique et de son chef. En 2020, il ne reste rien de ces entreprises, ni en Russie, ni en Chine, ni ailleurs, sinon un modèle autoritaire d'encadrement qui ne tolère aucune contestation et qui demeure, aujourd'hui, au service d'une autre cause.

 En revanche, le réformisme au sein des démocraties libérales (la social-démocratie) a obtenu dans cette même Europe de l'Ouest des avancées sociales durables garanties par l'action des états et de leurs services publics. Mais même cette version du socialisme n'a pas résisté à la débâcle générale qui a suivi l'écroulement des modèles prétendument révolutionnaires, d'autant que les énormes changements induits par les transformations techniques et l'élévation du niveau de vie global ont créé un contexte social sans rapport avec celui qu'avait décrit Marx il y a un siècle et demi.

Il en résulte une profonde confusion. Quarante ans de néolibéralisme prônant que l'intérêt de l'individu prévaut sur celui de la société et que la compétition l'emporte sur la coopération ont discrédité les valeurs libérales et la démocratie représentative. L'explosion de l'individualisme a détruit les solidarités de classe et les formes d'encadrement et de pédagogie que représentaient les partis politiques. Une véritable régression culturelle a rétabli la suprématie de la croyance sur la connaissance, alimentant la défiance généralisée (en particulier à l'égard de la science) et générant ce populisme qui oppose un prétendu peuple aux "élites", autrement dit l'ignorance au savoir. Les retombées immédiates ont été les succès fulgurants de démagogues tels Trump ou Bolsonaro et la diffusion accélérée des théories complotistes, portées par le formidable amplificateur que sont les réseaux sociaux. Au milieu de ce chaos, , le discours traditionnel de la gauche est devenu d'autant plus inaudible qu'il apparaissait déjà déconnecté du réel et les couches populaires qui lui avaient été fidèles l'ont délaissé au profit de celui des populismes conservateurs.

 

Y a-t-il une issue? Peut-on imaginer la renaissance modernisée du compromis social-démocrate? Ce qui menace, dans l'avenir, c'est la crise écologique consécutive aux limites du productivisme et à l'évolution climatique que l'activité humaine accélère. Depuis plus de deux siècles, la promesse de la gauche a été, à la fois, une liberté individuelle accrue et une plus grande égalité sociale, traduite par l'élévation du niveau de vie et fondée sur une abondance croissante. La réponse à la crise exige plus de sobriété et la fin programmée des sociétés de consommation, ce que l'on désigne volontiers aujourd'hui comme l'austérité, vilipendée à gauche… La mise en œuvre des mesures indispensables appelle une action accrue de l'état, autrement dit, le retour de l'autorité. En résumé, le contraire de ce qu'avait été le discours séculaire de la gauche.

On est en droit de douter des chances de ce que d'aucuns nomment, en la souhaitant, la social-écologie, où il faudrait alors, dans la devise républicaine, substituer le mot "discipline" à l'actuel : "liberté".

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