mardi 29 juin 2021

Le dilemme de la gauche.

 

Le dilemme de la gauche.

 

La crise sanitaire a peut-être joué un rôle d'accélérateur, mais une certaine unanimité se fait autour de l'idée que nous sommes à un tournant capital : les changements climatiques qui s'annoncent obligent à une profonde révision de nos modes de fonctionnement et il va falloir prendre d'urgence des mesures drastiques si nous voulons éviter d'affronter des problèmes qui pourraient à terme menacer l'existence même de l'humanité. Cette prise de conscience s'accompagne d'une audience accrue de l'écologie politique et, contrairement à une idée communément admise, cette occurrence interpelle une pensée de gauche déjà en crise suite à l'échec, à la fin du XX° siècle, des entreprises qui s'étaient voulues l'application des modèles socialistes conçus un siècle plus tôt.

 

Depuis ses origines au XVIII° siècle, la pensée de gauche se confond avec l'idée de progrès (au point qu'on a parlé à son propos de progressisme). Cette démarche s'est d'abord voulue politique et s'est située dans le sens de l'avènement de la démocratie libérale représentative. Puis, au XIX° siècle, face aux bouleversements sociaux générés par la révolution industrielle, elle s'est engagée en faveur de l'émancipation des couches populaires et de l'amélioration de leur sort. Elle s'est donc centrée sur l'élévation du niveau de vie, ce qui revient à offrir de meilleures conditions matérielles et des moyens d'accéder à une condition sociale satisfaisante, ce qu'on traduit aujourd'hui par progression du pouvoir d'achat et, donc, de possibilité de consommer.

Si, dans cette perspective, les gauches révolutionnaires ont échoué, celles qui s'inséraient dans le fonctionnement des démocraties libérales (les social-démocraties) ont incontestablement réussi en permettant l'accession d'une large fraction du prolétariat à ce statut social qualifié au XIX° siècle de "petit-bourgeois" et que nous nommons aujourd'hui "classes moyennes". Mais cette réussite s'est opérée sur la base du développement conjugué d'un système productiviste abaissant les coûts et d'une société largement consumériste. Or, ce sont précisément ces options que dénonce aujourd'hui l'écologie et c'est leur remise en cause qui est le fondement de son projet. Il faut donc constater qu'il y a contradiction radicale entre ce qui a été le programme séculaire de la gauche et les mesures que prône l'écologie face aux menaces qui se précisent.

 

Il faut en effet considérer lucidement que les changements dont les écologistes disent l'urgence mettent un terme au progrès considéré comme l'amélioration constante des conditions matérielles. L'enchérissement inévitable du prix de l'énergie, celui des produits agricoles suite à l'abandon des méthodes intensives, le coup d'arrêt donné à la consommation sans frein pénalisent nécessairement les catégories sociales que la politique de gauche avait sorties de la nécessité jusqu'à leur faire accéder à la relative aisance propre aux couches favorisées. Aussi, derrière les convergences circonstancielles auxquelles nous venons d'assister durant la dernière période électorale, se cachent bien des non-dits et des contradictions. A y regarder de près, on constate même que les mesures écologiques ne peuvent que s'opposer à un programme de gauche et braquer par là-même son électorat populaire. C'est une mesure écologique (une taxation des carburants) qui a déclenché en 2018 le mouvement des "gilets-jaunes". Qu'en serait-il d'une augmentation des denrées de base, du prix des transports, de l'exigence de l'isolation des habitats, de l'envol du coût de l'énergie? Certes, on pourrait imaginer une aide de l'Etat, comme on l'a vu face à la pandémie, mais elle aurait nécessairement ses limites et finirait toujours par engendrer un alourdissement fiscal.

 

On mesure face à ces perspectives le dilemme de la gauche. Indissolublement liée à l'idée de progrès, elle voit celle-ci radicalement reconsidérée et son assimilation  à l'accroissement du bien-être matériel remise en cause face aux menaces que les changements climatiques et l'épuisement prévisible des ressources non-renouvelables  font peser. C'est une révolution copernicienne qu'il lui faut accomplir mais, du même coup, elle risque d'être interprétée dans les couches populaires qui lui faisaient confiance comme une trahison. Et ce bouleversement existentiel survient au lendemain même des échecs des gouvernements qui se disaient socialistes.

En fait, dans ce réexamen global, il va falloir prendre en compte les transformations accélérées du monde qui rendent caduques les modèles et les projections du XIX° siècle auxquels la pensée de gauche s'était référée. Que signifie la lutte des classes définie par le marxisme dans une société où triomphe l'individualisme, où les regroupements communautaires se substituent à la conscience de classe, où la vraie fracture est fondée sur la connaissance et différencie les sur-instruits maîtrisant les questions des sous-éduqués prompts à croire les explications simplistes et les promesses inconsidérées des démagogues populistes? Comment concilier l'idée de progrès et les impératifs écologiques qui appellent, non au toujours plus, mais à une sobriété consentie que les moins favorisés considéreront nécessairement comme une paupérisation?

La démarche n'est sans doute pas impossible, mais le chemin apparaît escarpé! Au fond, la base de l'idée de progrès telle que la pensée de gauche l'a énoncée en se constituant reste peut-être l'optimisme, une confiance dans l'homme et ses capacités à dépasser les problèmes.

Reste à l'interpréter et à le faire admettre après des siècles de similitude entre progrès humain et élévation du niveau de vie. Cela prendra nécessairement du temps.

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