mardi 22 juin 2021

Où sont les citoyens?

 

Où sont les citoyens?

 

Ainsi, lors des élections départementales et régionales du 20 juin, un tiers seulement des Français s'est comporté en citoyen. Nous retrouvons singulièrement là la situation qui prédominait au temps des régimes censitaires, où l'on différenciait les citoyens "actifs" (pourvus du droit de vote) des citoyens "passifs"(qui en étaient privés). Et l'on oublie le long combat mené voici deux siècles par ces derniers pour obtenir ce suffrage universel qui fut la grande victoire de la révolution de 1848. Car être exclu du scrutin conduit à subir un pouvoir et une administration que l'on n'a pas choisis, autrement dit, se trouver dans une condition effective de sujet.

Nos abstentionnistes de 2021 ont-ils conscience de cela? Réalisent-ils que ne pas aller voter n'est pas un geste politique (à la différence du vote blanc), mais la concrétisation de ce "plus rien à foutre" dont le politologue Brice Teinturier a fait le titre d'un livre prémonitoire. Et que leur attitude témoigne de cette sorte d'infantilisation de la société que "Le Canard enchaîné" a parfaitement résumée dans une manchette constatant que "les Français s'intéressent plus au foot qu'aux élections régionales" Panem et circenses (du pain et les jeux du cirque), réclamait la plèbe romaine : du pouvoir d'achat et du football, pourrait-on traduire dans la France d'aujourd'hui.

Certes, on peut mettre en avant une certaine opacité des attributions de la région et une forme d'insouciance au lendemain des contraintes de la crise sanitaire, mais qu'on ne vienne pas tenir des discours sur l'inutilité du vote ou le pouvoir d'une oligarchie. On comprend l'abstention des Iraniens face à une caricature électorale sans vraie compétition puisque les candidatures d'opposition ont été systématiquement invalidées et qu'il n'est pas de possibilité de choix. Ce serait plutôt le contraire en France au vu de la multiplicité des listes. Quant à la prétendue oligarchie dirigeante, c'est précisément le vote qui la rend révocable.

Un autre argument cher aux démagogues populistes est d'alléguer que le système représentatif confisque le pouvoir au peuple et que la vraie démocratie ne peut être que directe. Un récent exemple devait pourtant appeler à réfléchir. Nos voisins suisses, on le sait, pratiquent régulièrement des consultations référendaires sur des questions que, précisément, le "peuple" doit trancher. Ainsi, récemment, l'actuelle préoccupation écologique a fait qu'on a soumis au vote populaire deux questions : doit-on prohiber dans l'agriculture l'usage du glyphosate, ce redoutable herbicide qui empoisonne les sols, et est-il souhaitable que pour diminuer l'empreinte carbone, il soit mis en place une progressive taxation des carburants. La réponse des consultés a été claire : à une large majorité, ils ont voté la poursuite de l'utilisation du glyphosate et ils se sont refusés à toute augmentation de l'essence et du gazole… Vox populi, vox dei, pour rester dans les références antiques.

Cette désinvolture civique interroge dans la perspective de l'élection présidentielle de l'année prochaine. Dans l'hypothèse d'un nouveau duel Macron–Le Pen, qui n'est pas improbable, quoi qu'on en dise, que va-t-il alors se passer? Quelles pourraient être les conséquences de l'abstention?

Pour comprendre l'occurrence, rappelons-nous l'élection américaine de 2016. Combien d'électeurs démocrates (que nous considérerions dans notre grille d'interprétation comme "de gauche") se sont alors raidis, refusant le vote Clinton pour ne pas cautionner l'establishment et préférant une abstention intransigeante. Leur retrait a favorisé (c'est mathématique) la candidature Trump et ce dernier s'est trouvé élu. Rien de tel que l'expérience vécue pour venir à bout des préjugés : après quatre années de Trump, il n'a manqué aucune voix à Joe Biden et les belles âmes se sont alors aisément laissées convaincre. Il faut en ce sens rendre hommage à la lucidité du sénateur Bernie Sanders, plus clairvoyant que nombre de nos faiseurs d'opinion. Peut-être faudrait-il en France cinq années de gouvernement des nationalistes réactionnaires pour remettre les pendules à l'heure…?

La démocratie libérale représentative a été l'une des grandes avancées historiques de la civilisation occidentale. Elle s'est établie sur la base des trois étapes cruciales que furent les révolutions de 1688 en Angleterre, de 1776 aux Etats-Unis, de 1789 en France. Elle a mis en place ce que Winston Churchill considérait avec humour comme le moins mauvais des régimes politiques. Elle nécessite simplement la présence et la participation de citoyens, autrement dit d'adultes responsables et non de consommateurs égoïstes et infantilisés prompts à dénoncer un prétendu "système" et qui se dérobent quand on leur demande de formuler leur avis.

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